1864 – Amour et trahisons en temps de guerre (Partie 4)
Suite et fin de notre semaine d’interviews consacrées à 1864, dont les deux ultimes épisodes seront diffusés ce soir à 20h50 sur Arte. Pour ce dernier rendez-vous emblématique, c’est le scénariste et réalisateur Ole Bornedal en personne qui revient sur ses principales motivations et processus créatif…
En 2002, son magnifique film I am Dina (Jeg er Dina), mettant en vedette Maria Bonnevie, Christopher Eccleston et Gérard Depardieu autour du destin tragique d’une jeune passionnée de violoncelle dans la Norvège des années 1860, est malheureusement passé presque totalement inaperçu en France. Musicalement renversant, grâce aux talents combinés de Marco Beltrami et de Jorane, et graphiquement très marqué entre violence et onirisme, on peut y déceler les prémices de ce qui fait aujourd’hui la force d’une mini-série du calibre de 1864. Avant cela, Ole Bornedal s’était fait remarqué dès 1994 en réalisant son premier long-métrage, Le veilleur de nuit, dont il signera lui-même le remake américain (avec Ewan McGregor, Nick Nolte et Patricia Arquette) seulement trois ans plus tard. En 1997, il produit le Mimic de Guillermo Del Toro puis enchaîne avec plusieurs films comme The Substitute, Deliver Us from the Evil ou, plus récemment, Possédée.
Cet entretien a été réalisé dans le cadre du 55ème Festival de Télévision de Monte-Carlo
Vous avez toujours partagé votre carrière entre télévision et cinéma… N’avez-vous pas été tenté de réaliser 1864, d’ailleurs tourné au format 2:35, pour le grand écran ?
Concevoir cette histoire pour la télévision était le seul moyen de parvenir à la financer. Il me semble que, très vite, le projet s’est imposé comme étant le plus élevé de toute l’Histoire de la Scandinavie. Cependant, attention, ce n’est pas que je cours spécialement après les films à gros budgets… Bien que j’ai déjà travaillé aux Etats-Unis auparavant. Mais dès lors que vous souhaitez porter quelque chose d’aussi épique à l’écran, surtout avec une telle dimension historique, tout devient vite extrêmement onéreux. Envisager 1864 comme un long-métrage de cinéma relevait donc tout simplement du domaine de l’impossible. Sur un plan plus personnel, j’y ai vu l’opportunité de relever le défi de réaliser une gigantesque fresque de guerre… ou d’amour / film de guerre. C’était pour moi l’occasion de rendre hommage à David Lean et à tous ses grands classiques. Par ailleurs, j’ai toujours pensé que si quelqu’un voulait mener à bien ce type de production de par chez nous, il fallait qu’il se concentre sur cette guerre de 1864… Ce conflit a été tellement tragique et dévastateur… tant et tant de familles et de jeunes gens ont été détruits. Lorsque vous voulez écrire un mélodrame, vous devez vous tourner vers ce genre de récits. Et j’avoue être beaucoup plus porté vers le mélodrame que vers le strict réalisme, ou le naturalisme, danois. Comme vous avez pu le constater en regardant I am Dina, par exemple (rires)… qui, par ailleurs, a coûté également beaucoup d’argent. C’était donc pour moi le moment de porter une histoire de cette ampleur sur mes épaules. Et j’y ai consacré quatre ans de ma vie. Absolument tout y est… La guerre, l’amour, la jalousie, la perte… autant d’éléments humains extrêmement lourds à rassembler au sein d’un grand opéra, en quelque sorte.
On peut souvent lire que 1864 est l’adaptation du roman Slagtebænk Dybbøl. Mais vous vous en êtes pourtant rapidement éloigné…
Non, en effet, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une adaptation du livre… C’est vite devenu ma propre histoire originale. En revanche, il est vrai que le travail de Tom Buk-Swient a représenté pour nous une formidable base de recherches historiques, sans avoir besoin d’aller creuser beaucoup plus loin pour mieux « ressentir » cette guerre et les conditions de vie sur place à Dybbøl. Tout était déjà là, écrit sur ses pages.
Le choix de mêler une intrigue contemporaine au récit historique favorise l’identification, pour ne pas dire l’implication, du téléspectateur envers les personnages et leur contexte. Quelle a été votre principale motivation dans l’élaboration de cet aspect spécifique du scénario ?
C’est difficile à faire mais il me semblait impératif d’appliquer cette méthode à une histoire comme celle-là. Et, naturellement, j’ai puisé mon inspiration à travers des œuvres comme celles de Steven Spielberg : Il faut sauver le soldat Ryan et La liste de Schindler. Il y a toujours des éléments du présent à l’intérieur. Il faut sauver le soldat Ryan commence et fini à l’époque contemporaine… Spielberg dresse un pont entre l’avant et le maintenant pour mieux faire revivre le Jour J en Normandie. Et j’ai très vite ressenti qu’il nous fallait ce même pont afin de lier chaque épisode de 1864 les uns avec les autres. Aucun jeune, ni en France, ni au Danemark, ne s’intéresse à une guerre qui s’est déroulée dans les années 1860. Ils s’en moquent totalement. C’était il y a 150 ans… Qui se préoccupe encore de ces sacrifices qui ont contribué à bâtir le Danemark d’aujourd’hui ? Et, de la même façon, quel jeune se préoccupe encore des mêmes sacrifices du passé qui ont construit la France d’aujourd’hui ? Lorsque vous êtes jeune, que vous avez 17 ans, vous ne vous préoccupez essentiellement que de votre iPad qui est tombé à court de batterie… C’est à cause de ce constat qu’il était vital pour moi de connecter le présent et le passé. Je voulais montrer un archétype moderne de la nouvelle génération qui tend vers le bas… Le personnage de Claudia est exactement comme ça. Elle est en plein pente glissante. Elle est perdue et n’a aucun repère. Puis, elle rencontre ce vieil homme cultivé qui, bien qu’il soit mourant, va progressivement l’atteindre et l’éveiller à sa propre histoire. Petit à petit, elle comprend que le Monde est bien plus grand que ce qu’elle pouvait penser… Que la vie ne se limite pas au dernier joint fumé. En fait, utiliser cette ressource scénaristique m’est apparu comme une évidence. Juste après le tournage de 1864, j’ai été en contact avec la BBC qui voulait me proposer d’adapter Guerre et paix de Tolstoï… Il me semble d’ailleurs qu’ils sont en train de filmer en ce moment-même… Le projet était très bien écrit et c’est un tel classique de la littérature… Mais il me semblait trop similaire à 1864 et j’ai préféré refuser. Au jour d’aujourd’hui, dans le monde des médias en 2015, si vous voulez proposer quelque chose d’épique, il me parait impensable de simplement me propulser dans le temps et d’y rester sans entrevoir de lien, sous une forme ou sous une autre, avec le présent. Et c’est encore plus vrai si vous voulez essayer d’attraper le cœur des plus jeunes téléspectateurs. Bien sûr, dans le cas de Guerre et paix, Tolstoï n’avait pas le moyen d’établir plus d’éléments présent… Mais, personnellement, cela m’aurait aidé à rentrer encore mieux dans son histoire. Je dois vous avouer que c’est un point sur lequel j’ai souvent été critiqué au Danemark… Beaucoup de journalistes ne voyaient pas l’intérêt de cet arc contemporain. Mais, personnellement, je n’aurais pas imaginé une autre façon de faire.
Et à quel moment avez-vous décidé de faire de Claudia et du baron des parents ?
Je ne sais pas vraiment… je suppose qu’au départ, c’était juste un outil dramatique comme un autre. Puis j’y ai vu un beau moyen de dire que l’on n’est jamais vraiment trop éloigné les uns des autres. Que l’on peut croire au fait que l’on fait un peu tous partie d’une grande et même famille. Dès que l’on creuse un peu, on peut trouver de drôles de connexions. Et je trouvais extrêmement poétique d’avoir ce moment où Claudia et Severin se reconnaissent ce point de parenté. Je trouve toujours extrêmement beau qu’en tant qu’êtres humains, on puisse se dire qu’il n’y a pas de coïncidence… Il y a toujours une certaine forme de relation. Par exemple, avant de commencer cet entretien vous me disiez que quand vous avez rencontré Marco Beltrami [compositeur et collaborateur de longue date – Ndlr] il y a plusieurs années de cela, il vous a dit qu’il avait rendez-vous avec moi une demie heure plus tard (rires)… C’est exactement ce genre de connexions que je trouve amusantes. Surtout la manière dont elles peuvent nous affecter… Et rien que le fait que vous vous en souveniez veut dire beaucoup. Je trouve ça vraiment très poétique.
Votre style est d’ailleurs basé sur cette idée de mixité des genres et des émotions… Dans 1864, vous pouvez passer d’une scène extrêmement crue comme celle où le Premier Ministre est proche de la folie, à quatre pattes au milieu du salon et à moitié nu, à une autre totalement poétique et sublimée comme celle où Peter fait courir le petit garçon au-dessus des épis de blés…
C’est mon approche, effectivement. Encore une fois, dans mon Monde c’est exactement ce dont les drames sont faits. Un récit doit être éclectique. Un instant précis peut être fort, dur, bruyant… et le suivant extrêmement doux et de toute beauté avant de rebasculer vers d’autres formes d’extrémités. Dès lors, en tant que spectateur, vous vous retrouvez tiraillé entre un état et un autre. Selon moi, c’est le secret de tout bon film… Là aussi, j’essaie d’ériger un pont entre ce que l’on peut trouver dans les productions américaines et ce que l’on peut trouver dans les productions européennes. En Europe, nous sommes très portés sur les personnages et leur psychologie. Nous sommes plutôt tendres avec eux… Tandis que les américains restent les meilleurs dans l’efficacité narrative. Ils savent agripper les gens et ne plus les lâcher. Selon moi, le meilleur cinéma, ou la meilleure télévision, est celui ou celle qui parvient à mélanger les deux. Si vous commencez à réfléchir à quels sont vos dix films préférés de tous les temps, je suis certain qu’ils contiennent ces deux aspects… Personnellement, je vous citerais Le Parrain, par exemple (rires).
(Propos recueillis et traduits par Vivien LEJEUNE)
Retrouvez la première partie de notre dossier 1864 – Amour et trahisons en temps de guerre
Retrouvez la deuxième partie de notre dossier 1864 – Amour et trahisons en temps de guerre
Retrouvez la troisième partie de notre dossier 1864 – Amour et trahisons en temps de guerre
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