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Borgen vs Madam Secretary (Partie 2): De l’usage des séries

Borgen vs Madam Secretary (Partie 2): De l’usage des séries
Christophe Brico

Dans la première partie de ce dossier, ce sont les femmes qui étaient mises à l’honneur. Femmes de pouvoir, à la fois fortes et raisonnables, Européenne pour l’une et Américaine pour l’autre. De manière plus générale, la série politique, est aujourd’hui un “méta-genre”, dans lequel on trouve diverses tonalités de la comédie (Veep), au soap (Scandal) en passant par le workplace drama (The West Wing) pour ne citer que ces exemples. Pourtant, et au-delà du simple entertainment, la série politique poursuit souvent un but pédagogique, voire à la limite de la propagande. Et c’est l’objet de cette seconde partie.

Radio Free Europe

Si l’on s’accorde sur le fait que The West Wing / A la Maison Blanche est la mère des séries politiques, un constat simple s’impose : La série politique a, par nature, une dimension pédagogique. Dans le cadre des séries que l’on aborde dans ce dossier, c’est également le cas. Pour Borgen, comme l’évoque Camilla Hammerich, la pédagogie est dans le cahier des charges entre les créateurs du show et la chaîne. La série poursuit un but éducatif. Et, à l’issue des 30 épisodes que constitue le show, on à une vision de l’intérieur des institutions du Danemark, mais aussi des différents courants politiques, proches de ce que l’on trouve en France, des médias, de l’Europe. Dans le cas de Madam Secretary, c’est un petit peu différent.

La série de Barbara Hall prend un angle très spécifique. En effet, au coeur du show il y a la Secretary of State, le Ministre des Affaires Etrangères, des USA. Dès lors, l’angle est totalement tourné vers l’international, là où, dans Borgen, on est principalement sur des questions de politique intérieure. Mais au-delà de ce principe de base, ce que l’on voit, comme spectateur, de l’executif américain est très réduit. Trois personnages sont au cœur de la partie politique du show, au moins au départ : La Secretary of State (Elizabeth McCord / Tea Leoni), le Président (Conrad Dalton / Keith Carradine) et le Chief of Staff (Russel Jackson / Željko Ivanek). Exit le reste du cabinet, la Chambre des représentants, le Sénat, ou encore les gouvernements des différents états. Allons plus loin : En faisant d’Elizabeth McCord et de Conrad Dalton des anciens de la CIA, ils en font de réels experts de terrain sur des questions complexes qui sont posées dans la série. Du coup, pas besoin d’ajouter des conseils extérieurs. Ils se suffisent à eux-même. A partir de là, la série va s’attacher à évoquer les grandes questions internationales (et principalement le conflit Russo-Ukrainien et le monde Arabe), dans un environnement de fiction (si les pays sont les vrais, les personnages, eux, sont fictifs). Au-delà de ce coeur “décisionnaire”, il y a également le pendant “travailleur” de la Secrétaire d’Etat, en l’occurence son staff. Mais là encore, la série se concentre sur son objet, traiter des grands sujets internationaux à la bonne échelle. Dès lors, cette équipe, qui pourrait être le théâtre d’un workplace drama, voit ses relations relativement atrophiées et simplifiées pour répondre à l’objectif. Enfin, et c’est sans doute une des plus grande compléxités à laquelle font face les scénaristes de la série, il y a la famille d’Elizabeth McCord, et particulièrement son mari. “Consort” au début du show, son importance à l’écran conjugué à l’objectif que l’on vient d’évoquer, vont conduire les scénaristes à le faire entrer au cœur des enjeux, alors même qu’au départ, peu de choses indiquent qu’il en a même le potentiel, étant, rappelons-le, professeur de Théologie. Tim Daly, qui interprète le rôle, évoque l’évolution de son personnage dans l’interview que vous pourrez lire maintenant.

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Tim Daly :  “Vas-y bébé, soit aussi bonne que tu peux l’être !” (enregistrée au Festival de télévision de Monte-Carlo)

Season One : Sur le site de CBS, dans la partie consacrée à “Madam Secretary” on peut lire qu’Henry (le personnage de Tim Daly, Henry McCord. Ndlr) pense que le pouvoir est sexy. Etes-vous d’accord ?

Tim Daly : Absolument !Je pense que ce qui est sexy est la passion de quelqu’un. Il est facile de dire qu’un des message de Madam Secretary est la question des femmes et du pouvoir, mais je pense que c’est un cliché. Je pense que le message est celui que dit Henry McCord dans la série, il a suffisamment confiance en lui pour ne pas avoir de problèmes à avoir une femme en position de pouvoir. Il n’essaie pas de lui mettre des bâtons dans les roues, il n’essaie pas d’entrer en compétition avec elle, il se contente de dire “Vas-y bébé, soit aussi bonne que tu peux l’être”. Il a sa propre vie et carrière. Et dans le cadre familial ils sont juste un couple comme un autre. Il me semble que c’est un message important pour les hommes, car c’est la direction dans laquelle va le monde.

Durant la première saison, le personnage d’Henry commence comme professeur et papa, et devient de plus en plus impliqué dans les intrigues. Est-ce une tendance qui va continuer en saison ?

Tim Daly : Je pense que cela va se développer en saison 2. Au fur et à mesure de la diffusion, le public répond à différentes choses, nos scénaristes sentent cela et écrivent en fonction. Le public aime beaucoup nous voir ensemble avec Tea (Leoni), et au-delà du stricte environnement familial. Donc nos scénaristes cherchent des moyens de nous mettre ensemble dans les intrigues politiques du show. Quand on quitte Henry à la fin de la saison 1, il travaille pour le Collège National de la Guerre (National War College), ce n’est pas strictement un endroit ou on apprend a faire la guerre, mais plutot un endroit où des militaires et des politiques apprennent à gérer les questions éthiques dans le monde entier. Je pense qu’Henry sera plus proche du State Department en saison 2. J’espère, d’autant que j’ai de nombreux amis dans le cast de la série avec lesquels je n’ai pas souvent l’occasion de travailler.

Dans la télévision américaine il y a finalement peu de séries politiques avec une femme en lead cast, comme Commander in chief…

Tim Daly : J’étais dans Commander in chief ! (rires), j’étais le Vice Président pendant deux épisodes.

 …mais la série n’a pas fonctionné. Qu’est-ce qui fait qu’une telle série est un succès aujourd’hui et ne l’aurait peut-être pas été il y a 10 ans ?

Tim Daly : Je ne sais pas vraiment. Déjà nous avons eu 3 Secretary of State femmes depuis l’administration Clinton. Nous n’avons pas encore élu une femme Président, mais nous avons de nombreuses femmes à de très hautes positions. Je crois que la tendance va dans la bonne direction à la télévision en termes de représentation des femmes, ça prend juste du temps. Ma théorie sur Commander in Chief est que le show était vraiment bon jusqu’à ce qu’elle devienne Président. Avant qu’elle ne devienne Président il y a de réels enjeux, après cela devient A la Maison Blanche, sauf que cette dernière est juste une meilleure série.

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Alors que nos deux femmes de pouvoir sont assez similaires dans leur comportement et la construction de leurs personnages, les deux séries, elles, abordent le fait politique de manière très différentes. Borgen ratisse large, de part son cahier des charges initial, et le fait qu’elle soit diffusée sur une chaîne publique. Toutes les questions, et toutes les strates de la vie politique y sont abordées. Madam Secretary, à l’inverse, prend un angle très serré, pratiquement exclusivement concentré sur les questions internationales. Cela peut paraître réducteur, mais, si l’on extrapole un peu, et que l’on admet que cette dernière série poursuit un autre but, plus “politique” au sens premier du terme, ce n’est pas forcement étonnant.

Imagine

Posons les choses de manière directe : Madam Secretary peut définitivement être perçu comme une promotion géante d’Hilary Clinton dans sa poursuite de la conquête du bureau ovale. Barbara Hall, la showrunner et créatrice de la série s’en défend. Elle affirme qu’Elizabeth McCord est un mix des 3 femmes qui ont occupé le poste (Madeleine Albright sous Clinton, Condoleeza Rice sous Bush et Hilary Clinton sous Obama). Pourtant force est de constater que Tea Leoni dans la façon dont est construit son personnage est plus proche de la dernière que des deux autres !

Et puis il y a un précédent : Le Président Palmer de 24 (et dans une moindre mesure le Président Santos d’A la Maison Blanche).Sans ces personnages qui marquent une vision progressiste de la charge suprême aux USA, et la popularité de Palmer, un candidat comme Obama n’aurait-il pas eu moins de chances ? Dans le cas de Madam Secretary l’enjeu est celui de mettre une femme à la tête. La télévision américaine, et contrairement, souvent à ce qu’on en dit un peu rapidement, à une réelle tendance à être légèrement en avance sur la société. C’est plus une façon d’accompagner une évolution réelle de la société que la devancer, mais force est de constater que le pouvoir de “promotion” d’idées progressistes est réel. Si l’on sort du stricte environnement politique, on a pu voir cela sur des questions d’orientation sexuelle, de genre, d’origine, de couleur et même de handicap.

En conclusion, dans les deux cas, nos show poursuivent un objectif pédagogique. Mais là où Borgen est au sens stricte une pédagogie de l’institution et de la vie politique, en général, Madam Secretary, elle, est plutôt une pédagogie du comportement féminin au pouvoir, et surtout, peut-être, une façon d’aider les esprits à imaginer une femme à la plus haute fonction de l’Etat.

Crédits: CBS