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Danny Elfman’s Music from the Films of Tim Burton : Joyeux Halloween sur PBS !

Danny Elfman’s Music from the Films of Tim Burton : Joyeux Halloween sur PBS !
Vivien Lejeune

De passage (triomphal) au Grand Rex de Paris les 10, 11 et 12 octobre derniers sous la houlette de Overlook Events, la tournée mondiale célébrant avec succès les 30 ans de collaboration entre Tim Burton et son compositeur/interprète fétiche devient, demain soir, un tout aussi important événement télévisuel via la diffusion, dès 21 heures sur PBS, de la quasi-intégralité du concert, magistralement filmé et monté lors de son passage au Lincoln Center de New York… L’occasion pour nous de nous éloigner un peu de l’univers sériel (bien que Danny Elfman ait notamment composé pour Alfred Hitchcock présente et Histoires fantastiques, ainsi que les génériques des Simpsons, Desperate Housewives ou encore des Contes de la crypte, Flash – version 1990 – et Batman la série animée) en vous proposant cette longue discussion avec le légendaire Chef d’orchestre en charge du spectacle depuis plus de deux ans déjà… Le Maestro : John Mauceri.

Ouverture

Quand et comment a débuté votre collaboration avec Danny Elfman ?

Lorsque que le Hollywood Bowl Orchestra a été créé pour moi en 1991, on m’avait en fait préalablement contacté en 1990 afin de de me demander si je pouvais être intéressé à l’idée de diriger un orchestre qui n’existait pas encore. Un ensemble qui, non seulement se produirait au Hollywood Bowl, mais qui enregistrerait également des sessions pour le compte de Philips. Et j’ai immédiatement accepté car je savais qu’un orchestre neuf n’aurait pas peur d’être impopulaire et serait d’accord pour jouer « n’importe quoi » ; aussi bien du Beethoven que du John Williams. Je tenais vraiment à m’engager dans ce sens et à apprendre car, même si je m’y connaissais un peu en matière de musique de films pour avoir grandi en en écoutant, on m’avait tout de même inculqué que ce n’était pas de la « vraie » musique… Pourtant, j’aimais bien ce que j’entendais. Et cet apprentissage a pris du temps. Qui étaient Max Steiner, Miklós Rózsa ? Quelle était la tradition musicale chez Warner, en comparaison avec celle de la Fox ou de la MGM ? Chaque studio avait son propre département musical, avec ses dirigeants et son propre style. Et puis il y avait Disney, qui produisait et publiait une incroyable quantité de musiques. Dans ce contexte, j’ai commencé à restaurer les partitions… car il n’existait aucun moyen de les jouer. Les studios en étaient propriétaires mais personne ne les publiait… Alors vous deviez vous débrouiller autrement pour faire revivre sur scène, ou en studio, Autant en emporte le vent. Il est parfois possible d’avoir accès aux archives de la Warner et de retrouver telle ou telle partition. Mais c’est difficile. A l’époque, la musique était jouée une seule fois, pour l’enregistrement. C’est tout. A quoi bon la conserver ensuite ? Personne n’allait s’y intéresser. Telle était l’attitude générale. Ce qui peut d’ailleurs tout à fait se comprendre… Du seul point de vue du businessman, bien entendu ! Je me suis donc retrouvé à être le seul à véritablement vouloir interpréter toutes ces œuvres. Heureusement, des gens comme Miklós Rózsa étaient toujours en vie et, généralement, les compositeurs gardent certains éléments de leurs partitions. De fait, chaque pièce que j’ai pu jouer ou enregistrer possède sa propre histoire. J’étais comme Indiana Jones ! A chaque fois, il s’agissait pour moi de dénicher l’Arche d’Alliance… Et c’est à cette occasion que j’ai eu l’opportunité de jouer du Danny Elfman. Edward aux mains d’argent, bien sûr, mais aussi quelques passages de La planète des singes. C’est comme ça qu’il a entendu parler de moi et que, de mon côté, je me suis familiarisé avec sa musique. Je l’ai rencontré pour la première fois juste après la Première mondiale de Serenada Schizophrana, alors dirigé par Stephen Sloane et qui lui avait été commandité par l’American Composers Orchestra, au Carnegie Hall de New York. J’ai beaucoup aimé cette composition ; d’ailleurs sa première en dehors de tout contexte filmique et j’ai commencé par le questionner sur ses origines car j’avais entendu comme une tradition de musique juive à travers certaines de ses lignes mélodiques, de même qu’un petit quelque chose de russe. Il s’est alors tourné vers sa mère et lui a lancé en retour : « Maman, sommes-nous russes ? ». Cela relève de l’ADN chez lui. Il a été imprégné par Chostakovitch, Prokofiev, Stravinsky… car des amis lui faisaient écouter leurs compositions. Il a adoré cela et s’en est nourri… Lorsqu’il a souhaité faire l’enregistrement de Serenada Schizophrana, il m’a demandé si j’accepterais de diriger sa musique et c’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler avec lui pour la première fois dans un studio. Le voir réagir… ce qu’il demande, ce qu’il entend, ce qu’il n’entend pas, ce qu’il voit… C’était vraiment très inspirant pour moi de voir à quel point il visualise son œuvre et en maîtrise la balance. J’ai aussi apprécié sa capacité à me faire confiance et à me laisser lui proposer des choses. Puis, en 2006, j’ai dirigé mon tout dernier concert à l’Hollywood Bowl et je lui ai demandé s’il accepterait d’écrire une Ouverture pour l’occasion. Ce qu’il a fait et je m’en suis senti très honoré. Après quoi, nous sommes restés en contact et il s’est toujours montré très encourageant envers mon approche et mon envie de jouer et de faire vivre la musique.

Elfman Live 1Décembre 2013… Au Royal Albert Hall de Londres. La première représentation mondiale de Danny Elfman’s Music from the Films of Tim Burton remporte un véritable triomphe. L’avez-vous vécue comme un événement à part ?

C’était absolument gigantesque. C’était la première fois que Danny se produisait sur scène depuis plus de dix-huit ans ! De même, c’était également la première fois que sa musique était jouée pour un public. Il faut savoir que chaque note a été créée spécifiquement pour ce concert… Bien sûr, dans sa globalité, la musique a été composée à travers plusieurs décennies, mais pour ce qui est du travail d’orchestrations et d’arrangements… Absolument tout a été repensé par Danny lui-même, sur une période d’environ six mois.

Savez-vous ce qui a été l’élément déterminant, à l’origine de ce magnifique projet ?

Tout cela a démarré de façon très modeste. Les films de Tim Burton avaient fait l’objet d’une exposition itinérante ayant remporté un vif succès à travers le Monde…

Effectivement. Et son passage à la Cinémathèque Française de Paris n’a pas démérité.

Elle a commencé à New York et a immédiatement été particulièrement populaire. Et c’est de ce succès qu’est venue LA question : sous quelle forme rendre hommage à la musique ayant accompagné ces images au fil des années ? Et l’idée d’un concert dédié m’a immédiatement intéressé… Ne manquait plus que de voir ce que Danny allait en penser !

Vous avez donc été contacté avant lui ?

Absolument. Tout simplement à cause de mon passé dans le domaine de la musique de films, de même que de mes précédentes collaborations avec Danny. Mais il nous fallait également obtenir le feu vert de Tim Burton, en plus bien sûr de celui de Danny Elfman. Le fait est que c’est quelqu’un qui n’a jamais ni encouragé ni découragé quiconque à jouer sa musique. On parle vraiment d’un compositeur qui pense sa musique uniquement en fonction du film qu’elle accompagne et des sessions d’enregistrements qui vont avec. Il est toujours très présent en cabine de contrôle et intervient dès qu’il pense nécessaire de changer la balance, l’orchestration, l’intonation… Ou quoi que ce soit d’autre. Mais quand le film est terminé, pour lui, sa musique l’est aussi. Et il se lance ensuite dans l’écriture de ses deux ou trois prochaines bandes originales. D’ailleurs, si on prend le temps de regarder le nombre incroyable de scores qu’il a pu produire… C’est le seul et unique moyen d’y parvenir. Il est toujours tourné vers le futur… Par ailleurs, je crois qu’il a toujours eu un peu peur des représentations live car, soudain, il n’est plus vraiment au contrôle. Pour lui, la pièce musicale et l’enregistrement ne font qu’un… à l’image de la musique concrète : il n’y a aucun intermédiaire entre l’œuvre et le public. L’idée de relâcher prise et de laisser intervenir d’autres Chefs d’orchestres, d’autres idées de tempo, d’acoustique… Est donc, selon moi, quelque chose avec quoi Danny était très mal à l’aise.

Elfman Live 2Mais ça ne l’a pas empêché de dire oui…

J’avoue que ça a été un choc. Puis, Tim a accepté à son tour. Soudain, la machine était lancée. Mais… Quelles musiques ?  Quels éléments visuels ? Sous quelle forme proposer tout cela aux spectateurs ? Dans un premier temps, nous pensions que Danny laisserait l’orchestre interpréter ses Suites préexistantes… Il faut savoir que le compositeur ne possède pas sa propre musique. C’est le studio qui la détient. Il est donc fréquent qu’ils éditent des extraits ou des Main Titles… Nous savions que certaines musiques des films qui nous intéressaient étaient disponibles via différents arrangeurs. Mais Danny étant Danny… Il s’est retourné vers chacune de ses partitions et en a créé ces nouvelles versions orchestrales. Là encore, ça a été un choc. Mais un choc fantastique ! Savoir que le compositeur lui-même était derrière chaque note, chaque décision… Puis, jamais deux sans trois, Danny nous a annoncé qu’il aimerait chanter sur scène. C’était tellement inattendu que personne n’avait même songé à lui proposer. Quitte à faire les choses… Autant les faire à fond ! Il nous a donc proposé d’interpréter les chansons de L’étrange noël de Monsieur Jack ! A un moment donné, il a même été question qu’il joue des percussions sur La planète des singes… Une fois ses Suites achevées, il nous les a livrées en versions démo. Parfois à l’aide de synthétiseurs, parfois à l’aide de remontages de ses albums existants. Nous avons donc pu écouter la musique avant même qu’elle soit retranscrite et imprimée… Bien sûr, les techniques d’enregistrement ont beaucoup évoluées entre Pee-Wee et Big Eyes. De même, chaque musique de film avait été conçue pour des orchestres de types et de tailles différents… Il lui a donc fallu harmoniser tout ça et déterminer quelle formation d’orchestre pourrait au mieux servir l’ensemble de ces compositions. Par exemple, choisir de n’avoir qu’un seul saxophone… bien que sur L’étrange noël de Monsieur Jack original, il y en ait deux. Prendre un guitariste… même s’il n’intervient que sur trois morceaux. Devait-on prendre un accordéoniste ?  Nous avons essayé, au début. Mais il avait si peu à jouer qu’on s’est très vite tourné vers les samplers et les claviers pour le remplacer.

Elfman Live 3Acte I

Et qu’en est-il de la construction du concert en elle-même ? L’ordre dans lequel vont être interprétées ces Suites ?

C’est là que j’interviens. Même si, bien entendu, Danny a toujours le mot de la fin. Comment rendre les choses cohérentes ?  Comment terminer l’Acte I en apothéose tout en préservant la grandeur et l’impact de l’Acte II ?… La façon de faire la plus facile aurait été de proposer les films dans leur ordre chronologique. Mais ça n’aurait pas fonctionné. De toute façon, nous voulions finir avec Danny et sa performance de Jack. On a essayé tout un tas de choses… Lorsque l’on joue un morceau qui ne dure que cinq minutes, on ne s’attend pas nécessairement à ce que les gens applaudissent à la fin. Mon expérience dans la musique classique, de même que mon apprentissage de la composition, m’a toujours poussé à imaginer un genre de voyage pour le spectateur et qui soit tout sauf chronologique mais bel et bien émotionnellement logique. Ma première décision a donc été de jouer les trois premières Suites en continu… Sans faire de pauses. Ainsi, les gens entendent 17 minutes de musique et saisissent un sentiment d’espace et de temps. Bien qu’il s’agisse de trois films très différents, tous sont néanmoins des comédies. Elles offrent donc suffisamment de continuité tout étant légèrement décalées les unes par rapport aux autres. Par ailleurs, nous souhaitions que les visuels ou extraits de films ne soient projetés que de temps en temps sur l’écran géant. De manière à laisser régulièrement la musique s’exprimer et vivre par elle-même. La représentation s’ouvre néanmoins sur un montage reprenant l’ensemble des films mais dès qu’arrive le second morceau, les images n’interviennent plus que de temps en temps.

Les trois premiers morceaux dont vous parlez sont Charlie et la chocolaterie, Pee-Wee’s Big Adventure et Beetlejuice qui, comme vous l’avez dit, partagent le même genre cinématographique. Mais arrivent ensuite Sleepy Hollow et Mars Attacks… Pour le coup, on pourrait difficilement plus opposés.

J’ai souhaité cela car Sleepy Hollow implique l’innocente voix soprano d’un jeune garçon en contraste avec le thérémine joué sur Mars Attacks, qui prend alors presque l’allure d’une femme maléfique. Tandis que le garçon chante, la musique est très sombre et angoissante… Et sur Mars Attacks, le son du thérémine est oppressant tandis que le morceau renoue avec la comédie. Ensuite, afin de changer totalement de palette, nous enchaînons avec Big Fish.

Une partition définitivement à part, mais toute aussi magnifique…

Tout est différent dans Big Fish. C’est une sonorité très américaine… Vraiment très « roots ». Les cordes jouent comme si elles venaient directement de la montagne et, bien sûr, il y a la guitare… Une fois encore, c’est toute la densité de l’expérience qui est renouvelée pour les gens qui se trouvent dans la salle. Avec cette Suite, nous voici arrivés à six morceaux… Nous en sommes à un point où le public est définitivement entré dans le voyage et nous achevons cette première partie avec l’imposante alliance des deux films Batman.

Elfman Live 4Cette première apothéose que vous évoquiez plus tôt.

Après que Danny ait assemblé cette pièce, tout le monde était assez inquiet dans la mesure où elle est vraiment très longue. N’y a-t-il pas trop de valse ? Trop de ceci ? Trop de cela ? On m’a rapporté que Danny avait dit : « Voici ce que je souhaite. Laissez-moi vous livrer la Suite comme je l’entends et vous pourrez toujours la couper plus tard ». De mon point de vue, Batman est l’une des meilleures Suites de ce concert et, pour moi, en tant que conducteur, c’est le moment idéal d’envisager un voyage digne de ceux entrepris par un Richard Strauss… J’ai, devant moi, une longue histoire à raconter. Au final, je suis tellement heureux qu’elle n’ait pas été coupée. Elle constitue le parfait climax de ce premier Acte. Et avant de revenir avec vous sur l’Acte II, j’aimerais ajouter une chose importante à mes yeux, comme à ceux de tous les autres chefs d’orchestre, c’est la possibilité de faire une grande partie de ce concert sans avoir recours à un clic. Ainsi, chaque conducteur peut interpréter cette musique à sa façon… Un peu plus rapide ici… Plus douce par là… Cela fait une différence fondamentale. C’est ce qui permet aux morceaux de vivre. Vous pouvez alors entendre d’autres personnes diriger ce concert et il sera toujours différent. C’est ce qui me permet d’y injecter cette vision d’une histoire à raconter.

Elfman Live 5Acte II

Après la pause : retour au contraste. Et cette seconde partie s’ouvre sur La planète des singes

En fait, c’est un peu le même principe que pour l’Acte I qui se répète. La planète des singes est une Suite assez courte et ne permet pas à l’auditeur de s’y impliquer très longtemps. Ainsi, enchaîner directement avec Les noces funèbres fait toute la différence.  De manière générale, l’Acte II est un condensé de petits morceaux… A bien y réfléchir, même la Suite de L’étrange noël de Monsieur Jack n’est qu’une succession d’extraits de chansons rassemblées les unes aux autres. Là encore, c’est à ce moment que je peux apporter mon aide et mon sens du timing. Mais cela ne doit rester qu’une aide. Lorsque qu’on a la chance de travailler sur l’œuvre d’un compositeur bien vivant, la décision finale doit lui revenir. Je peux proposer des choses… On peut même se disputer parfois… Mais, au final, c’est toujours sa musique, sa vision. Et pouvoir y contribuer est un véritable privilège. Il faut savoir quand on est aux commandes et quand on est au service de la musique. Au final, à chaque fois, on est les deux. Faire coexister La planète des singes et Les noces funèbres en est un parfait exemple car le premier est vraiment direct. Un seul tempo… Les percussions… En un sens, c’est très simple. Puis, quand arrive Les noces funèbres, on bascule vers un autre univers, d’abord très doux, avant d’entrer dans ce long solo de piano puis dans la chanson de Gilbert & Sullivan. Avec cette Suite en trois parties, précédée par La planète des singes, le voyage devient tout de suite beaucoup plus intéressant et totalement empreint du souffle de l’univers sonore de Danny Elfman tout entier… C’est assez extraordinaire en vérité.

Après quoi arrivent Dark Shadows et Frankenweenie

Oui, une fois encore, on imbrique deux œuvres l’une avec l’autre et la musique prend tout son sens. A l’origine, Frankenweenie avait une fin plutôt douce mais j’ai fait remarquer à Danny que presque toutes ses pièces finissaient doucement. J’avais un peu peur qu’on ne marque pas suffisamment la fin de chaque morceau et il m’a répondu quelque chose de très judicieux : « Peut-être que ça vient de Tim Burton, en fait ». Parfois les Suites ne se terminent pas sur une clef tonique et vous réalisez que la musique est finie parce que la dernière note de cordes s’efface peu à peu et que vous n’en entendez pas une autre venir prendre sa place… Avec Dark Shadows, on rentre dans quelque chose de vraiment sérieux, très sombre, et Frankenweenie débute d’ailleurs de façon plutôt angoissante. Le thérémine entre en scène et, quatre secondes plus tard, c’est comme si la musique vous faisait une blague en tendant soudain vers la douceur. C’est le même procédé que pour Mars Attacks… C’est de la fausse peur. Maintenant, le morceau se conclut de manière très ample… On voit l’enfant et son chien et c’est tout ce qu’il y a de plus émouvant. Sur ce… On arrive au sommet de la montagne.

Elfman Live 6Edward aux mains d’argent… Le chef d’œuvre que tout le monde attend…

Edward, puis Jack… Les deux personnages phares de notre dernier quart. Et quand Danny ne chante pas, car il nous arrive de jouer le concert sans lui, nous intervertissons alors le programme en proposant d’abord une Suite orchestrale de L’étrange noël de Monsieur Jack et nous finissons avec Edward aux mains d’argent. Cette partition est tellement adorée des gens qu’elle en devient ni plus ni moins que le grand climax du concert… Bien sûr, quand Danny est là, mieux vaut jouer Jack en deuxième car rien que le fait de voir Danny arriver sur scène est un grand moment. Cet homme, dont vous avez entendu la musique depuis le début de la soirée, est enfin devant vous ! Le public est alors extrêmement enthousiaste. Pas seulement parce que Danny va chanter mais parce qu’ils veulent le remercier pour toute cette musique déjà jouée jusque-là. De même que pour ces déjà quelques décennies passées à écouter et à aimer son travail.

Et quel plaisir pour les gens de le voir littéralement entrer dans la « peau » de Jack dès qu’il se met à chanter !

A la base, Danny a choisi quatre chansons. Toutes liées par des interludes orchestraux. Ce qui était une merveilleuse idée… Puis, Richard Kraft (agent et co-fondateur de Kraft-Engel Management) a pensé qu’il pourrait être formidable que Danny chante « What’s This » en parfaite synchronisation avec la scène du film. Sur le coup, j’ai failli m’évanouir (rires) ! Parce que je savais qu’il s’agissait de la chanson la plus difficile, avec ses envolées et ses descentes brutales… C’est quelque chose d’incroyablement compliqué. Et ce dans n’importe quelle circonstance. Nous ne savions même pas si cela allait se révéler réalisable ou pas. Pour que le texte soit en symbiose totale avec les lèvres animées du personnage de Jack, il fallait que Danny puisse retrouver son exact phrasé d’il y a 20 ans ! Sans parler du fait que, comme il doit faire face au public, il ne peut jamais regarder l’écran. Je suis son seul référent rythmique. Je dois me concentrer sur le clic dans mon oreillette, en plus des musiciens, et c’est ainsi que ce qui devait être pour moi la plus merveilleuse partie de ce concert est devenu mon pire cauchemar (rires) ! Après nos premières représentations au Royal Albert Hall, nous sommes partis jouer à Leeds et nous avons dû interrompre « What’s This » car nous nous sommes tous retrouvé totalement à côté. Le cauchemar était vraiment arrivé… Mais le plus amusant, c’est que tout s’est bien déroulé en fin de compte. Danny a dit : « Vous savez quoi, les gars ? On va la refaire ! »… Tout le monde y a mis du cœur, nous avons recommencé et tout s’est très bien passé.

En général, ce type d’accident est un cauchemar pour les musiciens mais, pour le public en revanche, c’est la promesse d’un moment à part. D’une certaine forme de complicité. Et, naturellement, personne ne vous en tient rigueur.

C’est vrai !  Tout le monde a eu l’air d’adorer ce moment et de trouver ça… « cool ». Pour eux, c’est un peu comme accéder soudain aux coulisses. « Oh, c’est donc comme ça qu’ils font ! » … Au final, la Suite de L’étrange noël de Monsieur Jack s’achève, là encore, en douceur. C’était important pour Danny de finir sur Jack, désolé d’avoir gâché noël. Sans autre forme de conclusion. C’est tout lui. Et si j’en avais eu la responsabilité, cette fin aurait été toute autre… Mais comme on est chez Danny, le concert termine en paix.

A cette différence près que vous revenez interpréter le très énergique et entêtant Alice aux pays des merveilles en guise de rappel…

C’est un morceau absolument magnifique et c’était mon idée de faire venir chanter le jeune garçon au-devant de la scène, juste à côté de moi. Je tenais à ce que le public puisse bien le voir.

Après quoi, le spectacle n’est pas encore terminé !  Danny Elfman revient sur scène pour un Oogie Boogie enflammé et accompagné d’un Père noël pour le moins… Surprenant.

Danny voulait vraiment faire cette chanson et comme il n’y avait personne pour jouer le rôle du Père noël, je me suis dévoué (rires) ! J’ai donc apporté un chapeau et… Vous connaissez le résultat !

Revenons un instant sur Edward aux mains d’argent… Lors de la Première, à Londres, la violoniste Sandy Cameron n’était pas encore avec vous.

Après nos concerts européens, notre prochaine destination était Los Angeles. Et je pensais alors fort naïvement que nous tenions un spectacle bien huilé… Mais Danny étant un compositeur contemporain encore une fois bien vivant, il a commencé à repenser à ce qui c’était bien passé durant ces premières dates et, bien naturellement, à ce qu’il souhaitait modifier. Il a donc eu l’idée d’ajouter cette gigantesque cadenza à Edward aux mains d’argent pour Sandy. Soudain, avec ce passage ajouté au beau milieu, la forme de la Suite passait de A-B-A à A-B-C-A. De même, Danny a voulu ajouter un cymbalum et un groupe gipsy ! Je ne sais pas s’il savait exactement à quel point un cymbalum pouvait être imposant… Il n’en connaissait que le son et j’ai essayé de l’en dissuader (rires). Nous avons donc trouvé la place de mettre Sandy, le cymbalum, le joueur de basse, le guitariste et l’accordéoniste sur le côté, juste derrière le premier violon. Heureusement, le Nokia Theater le permettait. Si bien que la distance étant énorme… Même si tout s’est très bien passé et que Sandy a été absolument formidable. C’est sa mère qui a fait le design de son costume de scène! Pour le public, c’est un moment magnifique ! Mais pour moi… Cela signifiait de repartir presque de zéro sur des morceaux qu’il m’avait déjà fallu un mois entier pour apprendre (rires).

Rappel(s)

Bien que cela fasse partie intégrante de votre profession, n’est-il pas difficile de changer d’orchestre au grès des différents pays dans lesquels vous venez jouer ?

C’est bien là la principale raison pour laquelle il faut que vous ayez un chef d’orchestre qui assure l’ensemble de la tournée. C’est toujours différent. Il y a une combinaison entre la qualité des musiciens, l’acoustique de la salle dans laquelle a lieu la représentation et l’attitude générale envers la musique elle-même. Il y certains musiciens, dans certains orchestres, qui ne considèrent pas véritablement la musique de films comme de la vraie musique. En conséquence, ils restent professionnels mais ne s’impliquent pas totalement dans le projet. De fait, vous faites de votre mieux et au bout du compte la musique l’emporte. Ce n’est pas aussi agréable que ça devrait l’être, mais c’est comme ça.  Il existe toujours un snobisme environnant à l’encontre de la musique de films… Et cette idée préconçue, et absolument ridicule, que c’est de la musique facile. Alors, oui c’est vrai, parfois c’est facile… Mais tout comme peut l’être la musique classique. Reste que, généralement, elle relève plutôt du défi. Alors, à chaque fois que vous arrivez dans une nouvelle ville, vous espérez que tout le monde sera compétent… Et tout particulièrement les solistes. Piano, clavier, guitare… Mais aussi les enfants soprano. Nous avons rarement ce genre de problèmes mais quand c’est le cas, on les contourne de notre mieux. Danny en est arrivé à un moment où il comprend et accepte tout cela. C’est un collègue formidable à ce propos… Il nous arrive parfois de supprimer des passages ou des morceaux entiers si, par exemple, il n’y a pas moyen d’obtenir le solo de piano de façon suffisamment correcte. Mais le plus extraordinaire dans tout ça, c’est toujours le public.

Elfman REx

Justement, qu’est-ce qui, selon vous, rend la musique de Danny Elfman si populaire à travers le Monde ?

Il possède un univers bien défini… Quoi qu’il fasse, ça sonne toujours comme du Danny Elfman mais, pourtant, c’est toujours différent. Par exemple, si vous prenez Spider-Man, que nous ne jouons pas au concert puisque ce n’est pas un film de Tim Burton, on pourrait penser en toute légitimité car ça va être comme du Batman puisque c’est la même personne qui compose… Mais dès les toutes premières notes de Spider-Man, où il parvient à créer un genre de son de tissage de toile d’araignée, on réalise immédiatement qu’il part dans une toute autre direction. Pourtant il s’agit là aussi d’un thème pour super-héros.  En comparaison, John Williams, qui est à mon sens ni plus ni moins que le meilleur compositeur vivant, toutes catégories confondues, possède un son résolument similaire que l’on passe de la Marche de Superman, à celle des Aventuriers de l’arche perdue ou encore de Star Wars… Toutes ces pièces sont vraiment très similaires et ne changent pas fondamentalement de couleurs musicales. Danny, en revanche, change continuellement de palette. De même que d’angle d’approche pour mieux raconter une histoire. Et je crois que sa collaboration avec Tim Burton opère un peu comme le cœur de son œuvre complète ; y compris lorsqu’il travaille pour d’autres réalisateurs. Je pense que pour le public, cette passion vient avec les films… Tout comme Alfred Hitchcock et Bernard Herrmann en leur temps. Ils ne sont plus seulement un réalisateur et un compositeur… Ils forment une réelle identité artistique. Et dans le cas de Tim Burton, ses films mettent sur le devant de la scène des personnages physiquement différents qui se comportent comme s’ils étaient « normaux ». Au fond, Jack est quelqu’un de très gentil dont la profession est tout simplement d’effrayer les gens à Halloween. Pourtant, c’est un personnage qui se préoccupe des autres, qui s’ennuie, qui est désolé lorsqu’il fait une erreur… Il n’est pas un monstre. En aucun cas. Chez Dickens, on peut trouver des personnages difformes qui s’avèrent être de bonnes personnes… Prenez De grandes espérances : personne ne peut croire que l’héritage vient en réalité du condamné. Tout le monde pense que ça ne peut venir que de Miss Havisham… En un sens, Dickens donne une leçon à ses lecteurs : il ne faut pas se fier aux apparences. Le physique n’est pas l’écho de la valeur d’une personnalité. Chez Burton-Elfman, on retrouve cette notion tout au long de leur œuvre commune. Tout le monde s’est senti exclu du « Monde normal » à un moment ou à un autre au cours de sa vie… Ici, rien n’est binaire. Il n’est plus question de bien ou de mal, de normal ou pas normal, de gay ou d’hétéro… Ni même d’homme ou de femme. Nous sommes tous une mixture d’un peu tout cela mais la société nous impose de nous définir de telle ou telle manière. Etes-vous blanc ou êtes-vous noir ? Etes-vous métisse et, du coup, qu’êtes-vous en réalité ? Comme les films de Tim Burton célèbrent l’humanité des gens en dépit de ce à quoi ils peuvent bien ressembler, ils deviennent le parfait héritage de ce que les gens vivent ici et maintenant. Il y a des gens qui nous disent : « J’aime Sally parce que, comme elle, je ne suis pas spécialement belle. Mais j’ai des sentiments et ils sont aussi importants que ceux de n’importe qui d’autre ». Certains s’identifient à Sally, d’autres à Jack… C’est surement ce qui fait de ce film le plus important d’entre eux : il n’est constitué que de personnages à l’apparence « monstrueuse » mais qui se comportent comme tout à chacun. Prenez Frankenweenie ! Il est à la fois le plus adorable des chiens et le plus effrayant. C’est assurément l’une des explications du succès et de la longévité de cette belle collaboration.

Crédits : Overlook Events, Ludovic Boulnois, Magali Bossière, Vivien Lejeune.

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