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De l’écriture à la diffusion: enfin la bonne recette

De l’écriture à la diffusion: enfin la bonne recette
Alexandre LETREN

Nous avons souvent évoqué ici même les procédés d’écriture des séries, pointé du doigt ce qui allait ou n’allait pas dans la fabrication des séries. Et, comme certains de nos confrères, on s’est demandé comment créer un modèle de création de séries qui conviendrait à la France, sans être le « showrunner américain », mais permettant une industrialisation de la production de séries et le retour des dites séries chaque année.
Le bureau des légendes, la nouvelle Création Originale de Canal+ (dont on parlera bientôt) semble avoir trouvé LA bonne recette. Retour sur un modèle à pérenniser avec le créateur de la série Eric Rochant.  

Au sein de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure), un département appelé Le Bureau des Légendes (LBDL) forme et pilote a distance les agents les plus importants des services de renseignements français : les clandestins. En immersion dans des pays hostiles, leur mission consiste a repérer les personnes susceptibles d’être recrutées comme sources de renseignements. Opérant « sous légende », c’est-a-dire sous une identité fabriquée de toutes pièces, ils vivent de longues années dans une duplicité permanente. Notre héros (Mathieu Kassovitz) rentre justement d’une mission clandestine de six années a Damas. Mais contrairement a ce qu’exigent les règles de sécurité, il n’abandonne pas sa légende et l’identité sous laquelle il vivait en Syrie. Mettant ainsi en danger tout le système…

Replacer le scénariste au centre du dispositif. Un aspect de la production sérielle que l’on a souvent aborder, mais difficile à mettre en place en raison de l’importance du réalisateur dans notre pays, notamment depuis La Nouvelle Vague. « Le travail des réalisateurs sur la série est très centré sur la mise en scène. Les réalisateurs n’ont plus besoin de s’occuper d’autre chose que de la mise en scène. Ils ne s’occupent pas de construire les personnages, ce ne sont pas eux qui les écrivent; ils ne s’occupent pas de la direction artistique ni du scénario, ce n’est pas leur problème. Ils n’ont plus qu’une seule angoisse: mettre en scène le scénario qui est une bible dont je suis le gardien du temple. » Comme aux Etats-Unis, les réalisateurs, techniciens d’une série? « Oui on pourrait les considérer comme ça mais sur la série, j’ai pris des réalisateurs avec une vraie vision et qui sont aussi auteurs. Mais c’est certains qu’ils ne mettent pas en scène leur univers. C’est un exercice compliqué pour eux, ils ne sont pas habitués à faire de la série mais j’espère qu’en sortant de là, ils auront envie de retravailler sur une série, voir même d’en créer une. »

Sur Le bureau des légendes, les réalisateurs sont donc garants de la vision de la série imposée par son créateur Eric Rochant qui en réalise le premier épisode et impose  ainsi le style.
Il a fallu ainsi adapter à la France les techniques américaines, « en moins violentes et avec plus de tractations« , pour créer un modèle viable, efficace, rapide et professionnel: « Le réalisateur me livre son épisode au bout de 3 semaines, et au bout de 4 semaines, on envoie au diffuseur l’épisode avec son premier montage. Le diffuseur nous le renvoie avec des notes et on a alors 1 journée pour terminer le montage définitif que je contrôle de manière absolue. Mais durant ces 3 semaines de montage, je prend en bonne intelligence la main sur le montage. Et pour une raison très simple: c’est moi qui au final livre l’épisode à la chaîne. Le diffuseur ne parle pas au réalisateur. Quand il n’aime pas quelque chose, c’est à moi qu’il le dit. C’est normal que j’ai la main sur le montage car il y a une unité de style à garantir et que je ne peux pas livrer à la chaîne quelque chose que je n’aime pas. »

Un autre exemple: Profession showrunner avec Anne Landois

Tout ceci semble tellement du bon sens, et facile à faire qu’on se demande pourquoi ça n’a pas été fait avant? Pourquoi on a si souvent entendu que ce n’était pas possible?

« Les mentalités ont dû évoluer un peu de la part de tout le monde. Tout ceci n’est possible que s’il y a un showrunner qui garantit l’oeuvre en travaillant grosso modo de l’écriture au montage. Aujourd’hui, on travaille en flux tendu sur le mixage-montage de la fin de la saison tout en travaillant à l’écriture de la saison 2. Un travail incroyable qui n’est possible que parce que tout est au même endroit, à la Cité du cinéma, outil formidable pour faire ça. Mes bureaux d’écriture y sont entourés des bureaux de production. Je traverse 3 pièces et je suis à la post production, au montage. Et je descend au niveau -2 et j’ai mes deux plateaux de 1000 m2. C’est donc cette logistique, cette volonté qui ont permis de faire tout ça. Canal+ a aussi dû changer sa façon de faire en réagissant très vite, en prenant des décisions très vite. De ce fait, si la chaîne donne le feu vert à la saison 2, elle se tournera fin septembre comme la saison 1 et sortira dans un an. »

Petite aparté mais quid des acteurs? Mathieu Kassovitz, Jean-Pierre Darroussin, Léa Drucker, Sara Giraudeau, Florence Loiret Caille, Alexandre Brasseur, Michael Abitboul, Zineb Triki,…Une incroyable brochette de comédiens, peu coutumiers des séries. On sait combien il est dur de mobiliser certains comédiens sur plusieurs saisons. Mais là aussi, les mentalités ont changé, chez les acteurs, les agents des acteurs. Le bureau des légendes propose ainsi comme nous l’explique Alex Berger, producteur de la série, un modèle unique en France (mais qu’on espère voir généraliser): les acteurs sont sécurisés par contrat pour au moins 3 saisons. C’est FONDAMENTAL!!!

LBDL

Reste un point et pas des moindres: les auteurs. Il était important de centrer cet article sur comment Eric Rochant agit comme showrunner sur la série. Il nous faut encore comprendre comment ça se concrétise auprès des auteurs. Ecriture collective? Eric Rochant dirigeant une writer’s room?
« J’ai un atelier structuré avec des scénaristes de deux statuts différents: les « seniors » et les « juniors ». Les « seniors » sont en charge d’un épisode et les « juniors » écrivent des scènes à la demande, tout en ayant pour vocation de devenir des « seniors ».
On a eu au départ un brainstorming très important pour définir la série avec toute l’équipe mais où seuls les seniors pouvaient parler. Je dirige les débats, je tranche à la fin. Au fur et à mesure, la série se construit. Pour la suite, c’est très simple: chaque senior écrit son scénario. Ainsi, 4 scripts s’écrivent en même temps (15 jours pour structurer et 15 jours pour rédiger). Une fois que je les reçois, je repasse dessus si besoin. Et les premières versions partent à Canal. Pendant que la chaîne les lit, les 4 suivants sont en écriture.

Les 10 « V1″ (version1) sont prêtes en 3 mois. Si j’ai écris des scénarii sur la saison 1, ça ne devrait pas être le cas sur la saison 2. Je me contenterai de préparer les lignes narratives avec eux et d’apposer ma couche après écriture des scripts. Mais on pense la série sur au moins 3 saisons. »

Voilà, il en aura fallu du temps, mais on semble parvenu avec Le bureau des légendes à un modèle français de travail et de création de fiction efficace, permettant une industrialisation de la production sérielle. Ce n’est bien entendu pas le seul. D’autres existent et on fait leur preuve: TF1 est parvenue depuis longtemps déjà à industrialiser sa fiction, elle a des auteurs avec une vision de leur série (Sophie Lebarbier et Fanny Robert); Un village français sur France 3 en est un bel exemple mais si le retour de la série à date fixe n’a jamais été atteint; il y a aussi le modèle Hadmar-Herpoux ou Festraëts-Malherbe (Chefs) de co-auteurs et réalisateur. Tout ces modèles existants ne doivent converger que vers une seule exigence: celle d’offrir à intervalle régulière et raisonnable des fictions que le public prendra plaisir à retrouver. C’est la seule garantie de fidéliser à à un programme et ainsi enclencher la seconde (saison).  

Crédits: Canal+