De l’intérêt des spoilers…
En français dans le texte, on les appelle « révélations » mais aujourd’hui, en VO comme en VF, les spoilers sont entrés dans le langage presque courant et dépassent même la sphère télévisuelle. Un véritable phénomène de mode qui pousse certains shows à les intégrer à leurs dialogues sans vraiment se soucier de l’impact sur le téléspectateur. N’est-ce pas là aller trop loin ? Ne serions-nous pas mieux sans spoilers et ses autres corollaires ? Est-il vraiment possible de s’en préserver ?
Cet article est lui garantie sans spoilers (récents) !
Dans la même semaine, deux séries américaines sont allées sciemment au-delà de la référence pour mettre directement les pieds dans le plat et spoiler leurs petites camarades. Dans Suits, Mike révèle, sur le ton de la vengeance, le contenu d’un épisode de la saison 1 de Downton Abbey à un malheureux concurrent qui se faisait une joie de découvrir la série alors que dans un épisode de The Big Bang Theory justement nommé « The Spoiler Alert Segmentation », Sheldon spoile la mort de trois personnages importants à la fois dans Harry Potter et dans The Walking Dead. Si tout le monde ou presque a vu Downton Abbey et lu/vu Harry Potter, cet épisode de TBBT fit quelques remouds dans la mesure ou la révélation sur la série de zombies de AMC concernait la première partie de la troisième saison, diffusée entre octobre et décembre 2012. Or certains spectateurs (américains comme français) attendaient que l’intégralité de la saison 3 soit terminée pour la commencer. Stupeur et colère des intéressés en soi assez compréhensible car d’une part tous les américains ne disposent pas de AMC qui est payante, d’autre part regarder The Big Bang Theory ne demande pas un suivi particulier à l’inverse de The Walking Dead.
Cette boulette de l’équipe de la série et plus généralement de la chaîne CBS est symptomatique du déplacement de l’intertextualité des séries TV actuelles (la référence pop est souvent la norme) et de la course à l’information générée par l’arrivée d’Internet dans nos vies. Pour une série comme The Big Bang Theory qui se définit par son côté geek et branché, il est tentant de repousser les limites de ce qui est avouable.
En même temps qu’il a ouvert le champ des possibilités à la fois en matière d’information sur les séries TV mais aussi dans notre façon de nous les procurer, le web a tué une certaine forme de spontanéité et d’ignorance. Ne vivions-nous pas mieux nos séries sans les spoilers, sans les annonces de casting ou des départs de comédiens des mois à l’avance ?
Entendons-nous bien, en tant que professionnelle, sériephile et femme de mon siècle, ma vie serait bien plus compliquée sans le Wi-fi, mon ordinateur, mon téléphone portable et ma tablette tactile pour ne pas dire insupportablement vide. Mais j’avoue aussi être un peu nostalgique de cette époque où mes cours d’informatique à la fac était l’occasion de flâner (oui, c’est pas bien !) sur le site de TV Guide en quête d’informations sur Friends, où ce que je savais des dernières séries TV américaines émanait de l’émission de Jimmy, Destination Séries, des échanges de cassettes vidéo d’Angel et Buffy entre copains, de me prendre la mort du père de Dawson en pleine figure un samedi après-midi sur TF1 sans l’avoir su en amont ou de découvrir le talent de Brad Dourif, exceptionnel en Luther Lee Boggs face à une Dana Scully perdue dans The X Files.
Toutefois, on peut choisir de voir les choses autrement et transformer le spoiler ou l’annonce de guest en challenge. Certains téléspectateurs décident d’eux-mêmes de s’ouvrir aux révélations, l’important pour eux étant de voir comment l’élément révélé est traité. D’ailleurs les créateurs de séries se sont mis au diapason. Quand ils lâchent une information avant la diffusion d’un épisode, ils prennent bien soin de rester évasif sur ce qui se passe réellement ou à la personne à qui ça arrive. Kevin Williamson et Julie Plec en charge de The Vampire Diaries sont rodés à cet exercice. Procédé astucieux en diable, souvent lancé via Twitter et possiblement initié par le service marketing de la chaîne, qui leur permet de « tenir » le public en haleine en étant sûr que l’épisode sera regardé.
De son côté, le téléspectateur est continuellement sur ses gardes durant le visionnage, supputant que telle chose va arriver à tel personnage. Et si celui-ci n’est pas content de l’issue qui a été donnée à l’affaire, il le fait savoir dans la minute sur les réseaux sociaux. Avec un peu de chance (pour lui), le mécontentement fait boule de neige et le showrunner se doit de faire du « service après-vente » en expliquant les raisons de sa décision. C’est ce que Shonda Rhimes fit d’ailleurs à la suite de la diffusion du final de la saison 8 de Grey’s Anatomy.
Bien au-delà de son étymologie qui annonce déjà la couleur -le verbe to spoil signifie gâcher, abîmer- le spoiler est non seulement devenu un phénomène mais aussi pratiquement une marque. Nombreux sont les sites internet qui en ont fait leur nom et les magazines qui ont crée une rubrique spéciale, en général imprimée à l’envers du reste de la pagination. Depuis juin 2012, l’acteur, réalisateur et icône geek Kevin Smith a crée une web série sur le site Hulu appelé Spoilers. Il y parle avant tout cinéma en présence d’anonymes et de stars.
En bien ou en mal, le spoiler et de manière générale tout ce qui se regroupe sous le terme de « news » autour des séries TV est en plein essor. Il appartient désormais aux pontes de l’industrie d’en faire bon usage et aux téléspectateurs de redoubler de prudence afin de garder une certaine fraîcheur face aux nouvelles saisons et séries qui arrivent.
Sur ce, je vous laisse, je vais ouvrir ma propre agence spécialisée dans les spoilers ! Vous voilà prévenus !
Crédits Photos: The Big Bang Theory, l’épisode de la discorde © CBS Broadcasting Inc /Shonda Rhimes et les acteurs de ses séries © Picture Group/ Kevin Smith © Hulu
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