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12 Commentaires

El Ministerio del Tiempo : fonctionnaires spatio-temporels (Espagne)

El Ministerio del Tiempo : fonctionnaires spatio-temporels (Espagne)
Fanny Lombard Allegra

Il y a une vie télévisuelle en dehors des séries américaines ou britanniques. Quand elles inondent nos écrans, Season One résiste en mettant en avant les séries françaises, et on assiste à un intérêt croissant pour des productions issues d’autres pays : Australie, Israël, Suède, Norvège, etc. Une envie de variété et d’exotisme, mais pas seulement. Si ces fictions ont un ton ou un angle propres à une culture ou un état d’esprit, elles traitent de thèmes universels et nous racontent à la fois quelque chose de particulier et de général.
Aujourd’hui, on vous invite à un double voyage : géographique en franchissant les Pyrénées, et temporel puisqu’on parcourt l’Histoire avec El Ministerio del Tiempo (« Le ministère du temps »), série diffusée par TVE et véritable phénomène en Espagne.

Alonso de Entrerrios (Nacho Fresneda), soldat de l’armée des Flandres du XVème siècle, avec un sens aigu de l’honneur et du devoir ; Amelia Folch (Aura Garrido), première femme inscrite à l’université de Barcelone en 1880 ; Julian Martines (Rodolfo Sancho), secouriste dans les années 1980, dépressif depuis la mort de son épouse.  A priori, rien de commun entre ces personnages, exceptée leur nationalité espagnole. Pourtant, tous les trois sont approchés à leurs époques respectives par la mystérieuse Irene (Cayetana Guillén Cuervo), qui cherche à les enrôler au sein du Ministère du Temps. Institution gouvernementale ultra-secrète,  cette organisation a pour mission de maintenir le cours de l’Histoire : à travers des portes temporelles, elle envoie ses agents dans le passé, pour réparer les erreurs qui pourraient affecter le présent. Recrutés pour former une nouvelle équipe, nos trois héros vont ainsi parcourir les époques afin de contrecarrer l’armée napoléonienne dans la guerre d’indépendance d’Espagne, récupérer le Guernica de Picasso, sauver la vie de Lope de Vega pour lui permettre de devenir l’écrivain que l’on sait, ou encore empêcher  une alliance entre Hitler et le général Franco. Mais altérer les événements n’est pas sans risque – surtout lorsqu’on est tenté d’agir sur son propre destin

Le thème du voyage temporel, l’idée de parcourir l’Histoire pour agir sur les événements du passé afin d’influer sur leurs répercussions dans le présent ne sont pas des nouveautés dans la fiction télévisuelle – on pense pèle-mêle et avec quelques nuances à 7 Jours Pour Agir, Continuum, Doctor Who, Sliders, 12 Monkeys… Ici, on relève certaines variantes qui permettent de renouveler un minimum le genre : les trois héros viennent d’époques différentes et, pour collaborer, ils devront donc surmonter leurs réticences et le choc culturel que supposent leurs origines temporelles respectives ; le cadre institutionnel du ministère du temps, organisme gouvernemental secret, suppose un arrière-plan conspirationniste mais, pour une fois, dans une acception positive puisque son rôle est de nous préserver à notre insu. Toutefois, ces minces différences ne suffisent pas à révolutionner la thématique. Mais peu importe, car l’intérêt du Ministerio del Tiempo n’est pas forcément à chercher dans son originalité – bien que le sujet soit inédit à la télévision espagnole – mais plutôt dans sa qualité et dans le soin extrême porté à chacun des aspects de la série.

Comme son titre peut le laisser deviner, El Ministerio del Tiempo s’appuie sur plusieurs périodes historiques, chaque épisode embrassant une époque différente avec pour toile de fond un événement fondamental dans la construction de l’Espagne : la dictature franquiste, l’inquisition, les guerres napoléoniennes, la naissance de la littérature picaresque… La reconstitution, les décors, les costumes sont en tous points remarquables et participent à l’immersion du spectateur tout en crédibilisant un récit par nature fantastique. Les périodes retracées demeurent suffisamment marquantes pour que même un public peu au fait de l’Histoire du pays puisse s’y retrouver – et il est d’ailleurs intéressant de découvrir de quelle manière nos voisins les appréhendent, selon une autre perspective que la nôtre. Elles servent de cadre à des intrigues solides et ingénieuses, menées tambour battant et sans aucun temps mort, et qui ont surtout l’immense qualité de se renouveler d’un épisode à l’autre : des soldats français franchissent les portes du temps pour ramener au XIXème siècle des armes modernes qui pourraient faire basculer le cours de la guerre ; le découvreur des portes du temps est accusé de sorcellerie et condamné au bûcher par Torquemada ; la reine Isabelle II est prise en otage par un ancien fonctionnaire du ministère…

Une diversité scénaristique facilitée par les différents cadres temporels, mais qui permet en retour une plasticité dans la réalisation, Javier Olivares – créateur de la série avec son frère Pablo – adaptant la forme en fonction du récit. Il a choisi de construire chaque épisode de façon légèrement différente, et va parfois jusqu’à en bouleverser complètement la structure en s’inspirant par exemple du film Un Jour Sans Fin (les héros revivent sans cesse la même journée, jusqu’à l’accomplissement de leur mission) ou de 24 Heures Chrono (la division de l’écran permettant de suivre plusieurs actions en simultané).  Cette variété va de pair avec une réalisation soignée, qui joue sur la gamme chromatique et l’exposition photographique pour permettre de situer le temps de l’action en un seul coup d’œil. Globalement, il y a une réelle cohérence esthétique, qui structure la série et relie entre eux des épisodes qui diffèrent sur la forme comme sur le fond, mais finissent ainsi par composer un ensemble homogène.

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Car de toute évidence, El Ministerio del Tiempo a été pensée de façon globale : véritable showrunner, Olivares sait ce qu’il fait, et il le fait bien. Voilà une série réjouissante, d’une surprenante fraîcheur. Complètement décomplexée, elle exploite son thème à fond et n’hésite pas à employer tous les outils à sa disposition pour jouer la carte du pur divertissement. Exit les grandes questions philosophiques sur le sens de l’Histoire, la responsabilité individuelle ou collective, les grands débats idéologiques, moraux ou sociaux.  Si elles surgissent au détour d’un épisode, ces problématiques demeurent à la marge, sans conséquences majeures sur la portée de l’intrigue. Ainsi, l’évolution de la condition féminine apparaît de façon ponctuelle à travers le personnage d’Amelia Folch, mais de manière superficielle ; de la même façon, lorsqu’un personnage cherche à se venger du ministère, qui a refusé d’employer la médecine moderne pour sauver son fils mort au Moyen-Âge, la portée morale de l’intrigue s’efface au profit de l’histoire à laquelle elle sert de point de départ.

Au sein de chaque épisode, le contexte historique lui-même n’est finalement qu’un prétexte pour jouer avec l’imaginaire du public, à grands renforts d’anachronismes, d’auto-parodies et de références à la culture classique ou populaire. On sent une volonté évidente d’instaurer une complicité avec les téléspectateurs, quel que soit leur niveau de connaissance de l’Histoire espagnole. Prévisibles, les traits relevant du décalage entre les époques n’en sont pas moins savoureux ; ils reposent principalement sur le personnage d’Alonso, reître du XVème siècle dépassé par les avancées technologiques (la télévision le fascine, mais les esmartphones le laissent perplexe…), et outré par la situation politique d’une Espagne qui a renoncé à sa souveraineté pour se soumettre aux diktats de Bruxelles – un comble, quand on sait que le royaume dominait la Belgique ! Les allusions culturelles, plus inattendues et très inventives,  fusent toutes les trois répliques – de Velasquez à Terminator en passant par Doctor Who, Perez-Reverte ou l’inévitable Don Quichotte ! Le même Alonso s’étonne ainsi d’être systématiquement comparé à ce mystérieux Capitaine Alatriste… Certains clins d’œil seront plus obscurs pour le public français – à l’instar de la présence de Michelle Jenner dans le rôle d’Isabelle la Catholique, qu’elle interprétait déjà dans la série éponyme de TVE tandis que Rodolfo Sancho jouait son mari Ferdinand… En résulte un sous-texte d’une richesse rarement atteinte par une série télévisée, tous pays confondus, qui finit par créer un univers codifié, capable de toucher aussi bien les amoureux d’Histoire que les geeks (l’un n’excluant pas l’autre).

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Ne se prenant pas au sérieux, El Ministerio del Tiempo parvient même à exploiter ses failles pour en tirer d’autres ressorts comiques en se moquant joyeusement d’elle-même. La série n’échappe pas aux pièges habituels, inhérents à sa thématique principale : dès lors qu’on évoque les voyages dans le temps, la translation des personnages suppose des paradoxes qui peuvent vite déboucher sur des incohérences ou des invraisemblances. Ici, le problème est désamorcé avec une nonchalance qui lorgne du côté du nonsense britannique : un secrétaire envoie un fax à son moi futur sans sourciller ; les fonctionnaires du XVème siècle ont accès au wi-fi  (mais le réseau passe mal); et depuis qu’il est interdit de fumer dans les lieux publics, le personnel se retrouve dans l’Angleterre victorienne pour la pause cigarette ! Tout est à l’avenant, sur le modèle de l’explication des voyages temporels eux-mêmes, tels qu’ils sont présentés dès l’introduction du pilote : à un Julian qui s’insurge (« Vous voulez sérieusement nous faire croire qu’il existe une machine à voyager dans le temps, et que c’est l’Espagne qui la possède ? »), le ministre répond d’un ton méprisant (« Ne soyez pas stupide ! On passe par des portes temporelles, tout simplement ! »)  Le tout est si bien amené, la difficulté contournée avec un naturel et une naïveté tellement désarmante que, contre toute attente, le processus fonctionne et renforce encore l’adhésion du public à cet univers, accentuant du même coup le sentiment de connivence.

La complicité se ressent également au sein du casting, notamment entre les trois acteurs principaux : l’alchimie fonctionne à plein et chacun d’eux excelle dans son rôle. Nachos Fresneda jongle entre plusieurs registres et amuse autant qu’il émeut ; son personnage se prête bien à l’exercice. Mais ses acolytes exploitent avec finesse et conviction des rôles plus subtils : il y a un mélange de force et de fragilité chez Aura Garrido qui la rend attachante, tandis que Rodolfo Sancho joue un Julian oscillant entre ironie et désenchantement. Ils sont soutenus par des seconds rôles à la hauteur – on citera par exemple Jaime Blanch ou Cayetana Guillén Cuervo, ou encore Juliàn Villagràn, surprenant dans son incarnation du peintre Velasquez.

Sans relativiser leur talent, les comédiens ont la chance de pouvoir compter sur des personnages d’une grande richesse, complexes et profonds : des héros à la secrétaire, chacun est étonnamment convaincant, et semble construit d’après une histoire personnelle qui, si elle nous demeure inconnue, pèse cependant sur son caractère et explique son comportement. Cela vaut aussi bien pour les personnages fictifs que pour les figures historiques, la série s’amusant à mélanger leurs trajectoires, comme l’y autorise l’abolition du temps. On croise ainsi Picasso, Hitler, Franco, Buñuel, Torquemada – mis en scène sans le moindre complexe. Ainsi, Velasquez est lui-même un employé du ministère, chargé en 2015 de dessiner les portraits robots ( !!), et obsédé par un Picasso dont il a bien du mal à comprendre les œuvres…

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A chaque épisode sa mission, achevée au terme de 70 minutes. En parallèle se déroulent des intrigues courant sur le long terme et qui touchent aux trois héros – et plus particulièrement à Julian. Encore une fois, la trame est archi-classique et a priori prévisible : incapable de surmonter la mort de son épouse dont il se rend responsable, il n’a de cesse de retourner en 1995 pour l‘observer et passer du temps avec elle, au risque de croiser son double.  On peut supposer qu’il finira par céder à la tentation de modifier les événements pour empêcher l’accident fatal, sans tenir compte des conséquences… Les séquences sont touchantes et bien amenées, même si cette fois, l’arc narratif n’est pas exempt des incohérences évoquées plus haut.

Malgré des audiences moyennes, El Ministerio del Tiempo est devenue un vrai phénomène en Espagne, les ministericos (contraction de Ministerio et istericos) envahissant la toile et les réseaux sociaux – encouragés par TVE qui a mis en place un plan transmédias inédit et machiavélique…
La série est aussi symptomatique d’une nette évolution des productions espagnoles, de plus en plus ambitieuses dans leur narration et travaillées sur le plan technique.

El Ministerio del Tiempo creuse le sillon des voyages dans le temps, non sans de notables imperfections : la série cède parfois à la facilité et on peut lui reprocher une certaine superficialité dans le traitement de l’Histoire, et une propension à la désinvolture lorsqu’il s’agit de résoudre les paradoxes temporels (Pour ma part, je suis obsédée par une question : pourquoi diable personne n’est-il encore venu du futur ?!!) Pour autant, ces faiblesses sont totalement assumées, et la série est si bien écrite, si maline et si enlevée qu’on finit par en faire abstraction pour se laisser porter par son enthousiasme communicatif. Au point d’avoir envie de s’écrier : « E viva España ! »

El Ministerio del Tiempo Saison 1 : 8 épisodes de 70 minutes env. ; saison 2 en cours de tournage.

Disponible gratuitement en ligne : http://www.rtve.es/television/ministerio-del-tiempo/capitulos-completos/

Crédit photos : RTVE.

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  • Diogène De Synope

    Bonjours,cette serie est pas terrible pour plusieur raison. en 1 ;histoire d’espagne est mal façonner dans le temps en 2 ;si tu pars de histoire fausse beaucoup de choses sont fausse dans le ressulta en 3; Les acteur ne son pas tres bon sourtout Rodolfo Sancho dans le role julian.en 4 la durée des episode sont trop longues, et perd son attraction si vous trouver la serie regardable et pour finir elle veut rendre certains clin d’oeil en disant pour les freaky. Conseil pour la series espagnol « Victor ross » du méme createur « El Ministerio del Tiempo » le probléme de « Victor ros « la duré des épisode

    • fanny

      Je comprends vos réserves, même si personnellement je trouve la série excellente… En tous cas, merci pour le conseil: je vais me jeter sur Victor Ros: on m’en a beaucoup parlé.

      • Diogène De Synope

        me dit pas merci pacque on ne connaits pas tout et toi , tu as vue beaucoup plus de series que moi et eb plus surment plus de qualiter que je regarde pour une fois que on parle beaucoup de cette serie « El Ministerio del Tiempo produit par TVE va en peu comme « Cuentame como paso »une serie qui se dit pseudo historique …. et autre….deso je me perd dans mes propos allor bon « Victor ros » le point positif il y à que 1 saison de il y a que six épisode ……

  • Christine Mazeau Sanchez

    Une très bonne série. Lee 70 minutes se font courtes et les acteurs sont magnifiques. En ce qui concerne l’Histoire, il ne s’agit pas de faire une narration historique. C’est de la fiction. 0n ne demande pas à un roman historique de faire un cours d’ histoire. Il me tarde de voir la deuxième saison.

  • fanny

    Certes, on est loin de la série historique – mais ce n’est clairement pas l’ambition ici. Les libertés que suppose la dimension fictionnelle ne m’ont pas parues choquantes – mais je ne suis pas experte ! Cela dit, c’est un débat récurrent… En revanche, je trouve que Rodolfo Sancho fait bien le job: il y a un parti pris dans son interprétation qui rend son personnage moins lisse que ce que l’on pourrait penser au 1er abord.

  • Guillermo

    Personne n’est venu du futur parce que la limite du temps est notre présent. Il faut penser au temps comme un chemin qu’on construit peu à peu.

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  • Remy Lef

    a-t-on les dates de diffusion en Français sur une chaine? ou de sortie en dvd langue française