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Il était une fois un showrunner: Aaron Sorkin (5/5)

Il était une fois un showrunner: Aaron Sorkin (5/5)
Christophe Brico

Soyons complètement transparent avec le lecteur. Cet article aurait dû initialement paraître à l’occasion de la sortie de la troisième et ultime saison de la dernière série signée Aaron Sorkin à ce jour, The Newsroom. Les contraintes d’agenda étant ce qu’elles sont parfois, c’est finalement une autre occasion, en l’occurrence la sortie en salle du film “Steve Jobs” écrit également par Sorkin, qui vous amène ces lignes aujourd’hui. Donc voilà, c’est la conclusion. L’ultime série de Sorkin, un concentré du talent de l’auteur mais aussi des “sorkinismes” qui lui sont beaucoup reprochés. En parallèle de ce dossier, vous trouverez une interview d’Alan Poul, Producteur Executif du show et réalisateur de quelques épisodes, donc le tout dernier. C’est parti pour The Newsroom.

The impossible dream

Peut-être faut-il commencer par un constat simple : The Newsroom est à la fois une synthèse de ce que Sorkin fait à la télévision, et à la fois un terrain d’expérimentation, qui va même au-delà du média, pour déborder largement sur le cinéma et même le théâtre. Pour ceux qui n’auraient pas suivi cette série d’article depuis le début, rappelons quelques éléments simples comme le fait qu’Aaron Sorkin se destinait au départ â être dramaturge, que c’est par une de ses pièces, “Des Hommes d’honneur” qu’il est venu au cinéma, et indirectement par le cinéma (pendant qu’il travaille ses scripts il regarde beaucoup de sport à la télé, et lui vient l’idée de “Sports Night”, première série de Sorkin sur ABC) qu’il vient à la télé. En faisant une petite digression, on notera que c’est quasiment aujourd’hui un retour en arrière, Steve Jobs, le film dont il signe le script, est littéralement du théâtre au cinéma. Mais nous nous éloignons du sujet.

The Newsroom nous raconte l’histoire d’une rédaction de JT du câble, News Night sur Atlantic Cable News, dont le présentateur principal est devenu un “fonctionnaire”, plus intéressé par son audience et sa popularité que par son métier de journaliste. Ce présentateur, Will McAvoy (Jeff Daniels, juste parfait dans le rôle), pète un câble durant une conférence dans une université, et dans le même temps, le patron de l’info de la chaîne, Charlie Skinner (Sam Waterston), embauche comme producteur exécutif de l’émission l’ex de Will McAvoy, en l’occurrence McKenzie McHale (Emily Mortimer). A partir de là, ce petit monde va tenter de créer “News Night 2.0”, une émission d’info éthique et fondée sur la véracité des faits, plutôt que la polémique, le débat plutôt que la propagande.

La série regroupe un grand nombre de mécanismes classiques chez Sorkin. Tout d’abord, c’est fondamentalement un workplace drama. Dire que c’est le genre de prédilection de l’auteur à la télévision est un euphémisme, c’est son unique genre à la télévision. Ensuite, l’environnement télévisuel n’est pas nouveau, puisque sur 4 séries que Sorkin a showrunné, 3 prennent pour environnement la télé (Sports Night, Studio 60 on the Sunset Strip et The Newsroom). Dès lors, tout un tas de mécaniques reviennent, comme autant d’outils permettant des situations narratives rythmées : le moment de l’émission télé, la préparation en salle de rédaction, les rapports entre l’équipe de l’émission et les dirigeants de la chaînes, les romances dont le classique “will they, won’t they” (à conjuguer au pluriel ici), bref, tout cela il sait le faire et le faire bien. Ajoutons à cela quelques obsessions de l’auteur comme des scènes chez le psy (dans absolument toutes les séries Sorkin), le rapport à la drogue, aux armes, et évidemment un discours qui essaie de débattre en hauteur des questions d’éthique journalistique, mais plus généralement de l’état du monde. Deux absents à l’appel sur ce show : le réalisateur et producteur Thomas Schlamme, qui est le père du “walk and talk” cher à l’auteur, et Joshua Malina, à cette époque parti faire Scandal chez Shonda Rhimes.

The-Newsroom-Season-3

Du coup il faut évidemment dire un mot de la distribution. C’est un Jeff Daniels impeccable qui ouvre la série et la conclu, totalement taillé pour le rôle, a moins que le rôle ne fut taillé pour lui. Il semble en tout cas que le courant soit passé entre l’acteur et l’auteur, puisque Daniels obtient le rôle de John Sculley dans le film Steve Jobs aux côté de Michael Fassbender et Kate Winslet.
Au coeur de la série il y a une dynamique centrale qui est la relation entre le personnage de Will McAvoy et McKenzie McHale (tout un tas de “Mac” qui seront moqués à l’occasion dans le show). Cette dernière est interprétée par Emily Mortimer, propose une idéaliste un peu adolescente chez qui la prose de Sorkin semble d’un absolu naturel. Sam Waterston, loin d’être un débutant, trouve aussi dans cette série, et sans doute dans cette écriture, un rôle à sa mesure. Mais la série vaut également pour tous les rôles qui sortent un peu de ce trio central. Sans être exhaustif, on ne peut faire l’économie de citer au moins trois femmes et trois hommes. Honneur aux dames avec Alison Pill, qui interprête Maggie Jordan, jeune assistante qui va se retrouver productrice un peu par hasard, et qui sera globalement l’oeil naïf par lequel on découvre ce monde. Ensuite la charmante Olivia Munn qui interprète ici Sloane Sabbith, spécialiste d’économie, ultra brillante et intelligente, mais avec quelques handicaps sociaux qui lui offrirons de nombreuses scènes plutôt amusantes, voire très drôle. Enfin, n’oublions pas chez les dames Jane Fonda, ici Leona Lansing, propriétaire de la chaîne, qui non seulement nous offre une belle interprétation, mais en plus a une réelle connaissance de ce milieu, ayant été longtemps mariée à Ted Turner, fondateur de CNN.
Côté hommes, il faut sans doute commencer par John Gallagher, Jr., Jim Harper dans la série, jeune producteur senior qui est l’archétype du mec gentil, et qui formera avec Maggie Jordan le “Will they, won’t they” le plus long de la série (l’autre étant celui entre Will McAvoy et McKenzie MacHale). Ensuite Thomas Sadoski, qui a la lourde tâche de commencer le show un peu comme un bad guy, et de le conclure comme un des bons. Et enfin Dev Patel, ici Neal Sampat, le geek de service, mais surtout, le personnage par lequel tout un pan du monde contemporain, et particulièrement en saison 3, sera mis en lumière.

Newsroom

Policy of truth

Aaron Sorkin qui s’attaque à la question des médias, ou plus précisément de l’information, ce n’est pas n’importe qui, qui s’attaque à n’importe quoi. La note d’intention est donnée dès l’épisode pilote : Un citoyen bien informé, en démocratie, est un citoyen à même de décider.

La série s’ouvre, un peu à la manière de Studio 60 on the Sunset Strip, par un long monologue du personnage principal qui répond à une jeune étudiante (“Sorority Girl”) en quoi l’Amérique n’est pas le plus grand pays du monde. Cette scène, magistrale, donne le ton de la série, montre un personnage en proie à une véritable crise de convictions, mais surtout pose, là encore, l’intention du show : Une histoire dans laquelle on examinera l’ensemble des questions à la fois sur l’angle des faits mais également sur l’angle humain, et donc politique. Sur trois saisons de nombreux grands moments de l’histoire contemporaine seront, directement ou indirectement, abordés : l’Accident de la plate-forme Deepwater Horizon, la mort de Ben Laden, les Attentats de Boston ou encore la diffusion des documents de la NSA par Edward Snowden, en passant par les élections présidentielles américaines de 2012. Pourtant, au fil des 3 saisons, 3 traitements différents seront abordés dans la série : En première saison c’est un traitement réaliste des faits, utilisant des faits vieux de presque deux ans au moment de la diffusion. En saison deux, c’est principalement une histoire imaginaire (Opération Genoa), qui sert de fil rouge à la série, mais évoque des questions comme le comportement du gouvernement américain dans ses opérations extérieures, ou encore, et surtout, la question des hoax (informations fausses). Enfin, la saison 3 est un hybride, avec un fil rouge totalement fictif parsemé de faits réels comme la question du plafond de la dette de l’état.

Ensuite, il y a un réel engagement politique de la série (qui s’estompe un peu en saison 3) sur lequel il faut s’attarder. Sorkin fait de son héros, Will McAvoy, un républicain engagé. On nous explique qu’il a rédigé des discours pour Georges W. Bush, et lui-même s’affirme comme tel à de nombreuses reprises. Ce faisant, il fait partir son héros en croisade contre le Tea Party, qui est aux USA la droite de la droite. En gros, c’est un peu comme si en France on avait fait un personnage de droite qui passe son temps à taper sur le FN. Et la comparaison n’est pas totalement dénuée de fondement. En effet, il y a fort à parier que, si Sorkin a fait le choix de rendre son héros républicain, alors que lui-même a des sympathies démocrate, et que d’ailleurs, l’administration Bartlet était démocrate dans The West Wing, c’est sans doute parce qu’il a voulu toucher les électeurs républicains plus que les démocrates. A de nombreuses reprises, McAvoy affirme qu’il poursuit une “mission de civilisation” ; On peut raisonnablement penser que ces mots traduisent l’intention de l’auteur : Il poursuit également une mission de civilisation.

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On a fait mille reproches à la série, parmi lesquels celle de vouloir faire la leçon, et en particulier aux médias. Ce qui a valu à Sorkin l’ire des reporters d’infos durant toute la premières saison. Il aura fallu une interview avec Dan Rather (un des papes de l’info américaine) et une seconde saison moins polémique pour que cela se calme. Au final, The Newsroom est un petit total de 25 épisodes, répartis sur 3 saisons (10 épisodes, puis 9; puis 6), qui constituent aujourd’hui une des séries les plus élégantes et contemporaines sur la question des médias, mais plus généralement sur le monde dans lequel on vit.

Rencontre avec Alan Poul, Producteur exécutif de The Newsroom
(Interview réalisée lors du 55e Festival de Télévision de Monte-Carlo)

Alan_Poul

 

Season One : Commençons par une question amusante. Etes-vous accro aux infos ?

Alan Poul : Je suis accro aux infos, mais, et c’est un peu gênant à avouer pour quelqu’un qui a produit une série sur les infos télé pendant 3 ans, je suis plus amateur d’info sur papier et radio. Je ne suis pas particulièrement fan des chaines d’info. Cela est d’ailleurs une partie des critiques que nous faisons à l’information dans The Newsroom. Donc j’obtient mes informations de trois sources: le New-York Times, la Radio Nationale Publique (NPR), et le Daily Show avec Jon Stewart. Et d’ailleurs vous trouverez beaucoup de gens aux USA qui prennent leurs informations du Daily Show, car si l’on a les fait depuis les médias traditionnels, c’est dans le Daily Show que l’on trouve les motifs derrière les faits. Le Daily Show apporte des éléments qui devraient être dans les informations traditionnelles, mais ne s’y trouve pas. Et c’est parce que dans les infos télé personne ne travaille en profondeur.

(NDLR : The Daily Show est une émission satirique d’info)

Seson One : Ne serait-il pas amusant de faire une série sur le Daily Show, justement ?

AP : On a fait un sketch The Newsroom dans le Daily Show. Jon Stewart est venu sur le plateau de The Newsroom, Jeff Daniels était dans son personnage de Will McAvoy… Ce n’était pas très drôle. C’était leur idée. Mais d’une certaine manière je crois que Jon Stewart a beaucoup de choses en commun avec Aaron Sorkin. Ils sont tous les deux brillants, et réellement perfectionnistes.

Season One : The Newsroom est censé être une série, et donc du divertissement. Pourtant il y a une de nombreuses critiques, et notamment des médias d’info. D’où cela vient-il ?

AP : C’est intéressant parce que, lorsqu’une information ou une perception devient virale, vous ne pouvez plus jamais la changer, et certaines histoires ressortent. Pourtant The Newsroom était une série adorée par celles et ceux qui sont de vrais journalistes, ceux qui travaillent sur les grandes chaînes ont aimé la série, pratiquement tous les journalistes devant une caméra ou sans caméra sont venu nous voir en nous disant : “On adore la série, on veut être consultant pour vous !”. Et nous avons employé nombres d’entre eux comme consultants. Le seul groupe qui n’a pas aimé le show a été celui des critiques télé. Ils ne sont pas experts sur la façon de diffuser de l’information à la télévision. Ils ont donc pris sur eux de dire que nous ne le faisions pas bien et que nous essayions d’expliquer aux journalistes comment faire leur travail. Premièrement, nous ne sommes pas intéressés à leur expliquer comment faire leur travail, ils sont critiques télé, et leur travail n’a rien à voir avec ce dont on fait la critique dans la série. Et deuxièmement, on a montré de manière très précises comment l’information télé était faite et les problèmes qui en découlent. La seule distorsion est qu’Aaron (Sorkin), comme il le fait toujours – c’était le cas dans A la Maison Blanche, c’était le cas dans Studio 60 (on the Sunset Strip) – présente une version idéalisée et romanesque de cet univers. Quand il présente une version idéalisée de la Maison Blanche dans A la Maison Blanche, ce n’est pas une critique de Clinton, c’est même totalement l’inverse ! C’est une façon de monter son adoration pour Clinton. Donc je pense que les critiques ont pris la série du mauvais sens, et de ce que j’en comprends, on ne peut jamais prévoir quand quelque chose devient viral. Il y a eu un petit nombre, mais bruyants, et dans un cas particulier avec de l’influence, de journalistes qui ont commencé à écrire sur la série avant sa diffusion, car ils avaient eu leur copie presse, et ils ont commencé a diffuser des critiques qui n’étaient pas seulement négatives mais aussi violentes. C’était les premiers retours sur la série, et ça a donné a tous la permission d’en faire autant. Comme vous le savez les critiques télé, et je m’excuse si vous vous sentez visés, je ne veux surtout pas paraître insultant, adorent avoir “la permission” de haïr la série. Ils se disent “Super, c’est un coup gratuit !”. Ça crée une atmosphère dans laquelle on a l’impression que la série est faite pour qu’on se lâche dessus. Une personne était critique pour le Huffington Post, l’autre pour le New-Yorker Magazine, et ils ont écrit très tôt et très négativement sur la série. Ils ont sous-entendu que la série était sexiste, et c’est également une forme de “coup gratuit”, car si vous sous-entendez qu’une série est sexiste ou raciste, tout le monde se sent obligé d’en faire autant. C’est ce qui s’est passé, et il n’est pas possible de renverser la vapeur. Et même au moment de la seconde saison, ou de nombreux critiques ont dit a quel point la série s’était amélioré, certains qui avaient négativement jugé la première saison disant qu’il fallait revenir à The Newsroom, même comme ca, on ne peut jamais vraiment effacer la vague négative du début.

Season One : Changeons de sujet. Pourquoi avez-vous changé le générique entre la saison un et les saisons deux et trois ?

AP : La raison est simple, on aimait pas le générique de la saison un. (rires !).

Season One : Pourtant c’était un hommage aux grand journalistes télé américains ?

AP : Oui c’était le cas, mais il n’était pas bien réalisé. Et surtout il paraissait très sentimental alors que nous voulions que le show ne le soit pas tant que ca. La série est censée être contemporaine et moderne. Nous avons également changé la musique, parce que le générique de la première saison faisait 90 secondes, et c’est trop long. On voulait au maximum 60 secondes. Du coup notre compositeur, Thomas Newmann, a réalisé une version raccourcie et plus rapide de son thème. 

Season One : En termes d’histoires quels sont les principaux changements entre les saisons un, deux et trois ?

AP : Il y a trois éléments. La saison un est la saison “des infos du jour”. On suit les personnages, leurs histoires, et à un moment une info arrive et c’est à ce moment là qu’une date arrive à l’écran. Le public se dit alors : “C’est donc cette histoire dont on va parler dans l’épisode de cette semaine”. C’est comme ca que vous saviez où vous en étiez dans le temps, et on a fait ça la plupart du temps sur la première saison. On l’a fait avec Fukushima, avec Osama Ben Laden. Et à la fin de la saison, on s’est dit que l’on avait assez joué avec, et que ça devenait prévisible. Donc en saison deux on s’est dit qu’il nous fallait une histoire qui se déroulerait tout le long de la saison, c’était une histoire fictionnelle, l’histoire de Genoa, mais basée sur une histoire vraie qui s’est passée sur CNN, dans laquelle la chaîne a perdu sa crédibilité. Et la saison trois, qui est la dernière, était autours du fait que la chaîne était vendue. C’était aussi une façon de revenir au début, et également nous voulions tuer un personnage. On ne savait pas qui, et toute les semaines on désignait un nouveau personnage. On se disait “on va tuer Mac” et puis finalement non, “on va tuer Will”, et non, “On va tuer Charlie”, et là “Oui, on va tuer Charlie”.

Season One : Ca n’a pas été trop difficile de boucler la série en six épisodes ?

AP : C’était l’accord que nous avions avec Aaron Sorkin. Après la saison deux qui a été si difficile, il n’était pas certain de vouloir revenir pour la saison 3. HBO voulait désespérément le retour de la série, et surtout une conclusion digne de ce nom. Nous avons donc négocié avec Aaron (Sorkin), et nous lui avons proposé de ne faire que six épisodes, et d’avoir la possibilité de conclure cette histoire. C’était mon idée d’ailleurs. HBO a été d’accord, et voila.

Crédits: HBO

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