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Invitation au voyage…dans le générique de Shameless US

Invitation au voyage…dans le générique de Shameless US
Charlotte Calignac

Comme l’explique Georg Stanitzek dans son article « Reading the Title Sequence », le générique est un premier pas vers un nouvel univers, et le véritable commencement d’un film – ou dans le cas présent d’une série. L’auteur y expose les raisons principales – généralement des raisons économiques et légales – qui en font une « impression de l’éditeur de forme typiquement cinématique indiquant qui est responsable du film ». Toutefois, Georg Stanitzek ajoute que « le générique doit mener à ce qui suit, en fixer le cap, s’emparer du genre et l’ « humeur » spécifique de ce qui est à venir, pour que l’on soit initié à la narration cinématique, la diégèse »*. En d’autres termes, le générique est une première porte d’entrée sur l’univers dans lequel le spectateur va pénétrer, une forme de mise en bouche répondant aux attentes du genre.

Selon IMDB, Shameless US appartient aux genres « drama » et « comédie ». Son générique (ou « title sequence ») devrait donc transmettre cette hybridité dans le genre de la série.

À partir de l’épisode S1E02, un véritable générique vient remplacer la scène d’exposition vue dans le pilot et marque une appropriation de la série par ses producteurs américains.

Le générique a une place non négligée sur le câble américain – ce dernier peut prendre le temps de poser son univers puisque les épisodes ne sont jamais interrompus par la publicité – voire l’érige en art quasiment à part entière en demandant à des compagnies différentes de la société de production de les créer (Digital Kitchen est l’exemple le plus connu, ils ont notamment conçu et monté les mémorables génériques de Six Feet Under, Dexter et True Blood).

Le moins que l’on puisse dire est que le générique de Shameless US répond à cette exigence de suggestion de thèmes « évocateurs » sans utiliser les éléments qui sont pourtant indispensables à la série.

Le générique est constitué d’un plan fixe situé dans la salle de bain qui fait également office de toilettes comme dans toutes les maisons américaines – et qui est en outre la pièce que l’on pourrait considérer la moins « noble » de la maison. Peu de scènes se déroulent habituellement dans une salle de bain : par opposition à la cuisine et à la chambre, quasi-omniprésentes dans les séries dramatiques à dimension familiale (Desperate Housewives, Brothers and Sisters, Sept à la Maison, Gilmore Girls).

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Dans le générique, la pièce paraît centrale, et est montrée comme un véritable lieu de vie familiale où règne un charmant chaos. La caméra prend la place de n’importe quel objet situé à faible hauteur dans la salle de bain, probablement un sèche-serviette ou quelque autre élément immobile, immuable et auquel on ne fait pas attention. La séquence semble montrer le déroulement d’une journée dans la salle de bain de la famille Gallagher où tous les personnages se succèdent sans que l’on voie forcément leurs visages. Au milieu de cette cohue résonne le thème principal : «The Luck You Got » (La chance que tu as) interprété par le groupe rock The High Strung, clamant:

« Think of all the luck you got, [Pense à toute la chance que tu as]
Know that it’s not for naught, [Sache que ce n’est pas pour rien]
You were beaming once before, [Avant tu étais radieux(se)]
But it’s not like that anymore, [Mais désormais ce n’est plus le cas]
What is this down side [Quel est cet inconvénient]
That you speak of [Que tu évoques]
What is this feeling [Quelle est cette sensation]
You’re so sure of [Dont tu es si sûr(e)]
Round up the friends you got [Rassemble les amis que tu as]
Know that they’re not for naught [Sache qu’ils ne sont pas là pour rien]
You were willing once before [Avant tu avais la volonté]
But it’s not like that anymore [Mais désormais ce n’est plus le cas]
What is this down side [Quel est cet inconvénient]
That you speak of [Que tu évoques]
What is this feeling [Quelle est cette sensation]
You’re so sure of [Dont tu es si sûr(e)] »

La chanson est en totale adéquation avec cette ambiance propre à la série américaine : une cadence dynamique, percutante vient rythmer la succession de plans. Aucun plan purement fixe sans aucun personnage ne dure plus d’une seconde, et aucune « sceynète » avec des personnages n’excède les six secondes avant qu’une coupure montée faisant accélérer la scène ne viennent interrompre la fluidité de l’action. Il s’agit donc d’un générique extrêmement dynamique, qui ne s’attarde pas en longueur, cynique sur la difficulté de la vie et du sentiment d’abattement qui peut parfois survenir mais soulignant l’importance de l’amitié apparentée au soutien familial. En parallèle, des images frappantes renforcent parfaitement la dimension vivante, irrespectueuse et parfaitement dénué de honte de la série.

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Ce générique permet donc de rappeler fidèlement et efficacement la situation. Chaque plan réintroduit les personnages et les caractéristiques essentielles à retenir (Frank est alcoolique : tout le monde le sait et personne ne s’en soucie particulièrement ; aucun des membres de la famille ne respecte l’intimité (sexuelle et matérielle) des autres : c’est une famille très nombreuse vivant dans une petite maison qui n’a pas assez de place pour tout le monde). En outre, l’hygiène et la sécurité ne sont pas des inquiétudes centrales puisque Liam est laissé seul à nettoyer sa brosse à dents dans la cuvette pour la mettre ensuite à la bouche tandis que Fiona et Steve concluent leurs ébats sur le lavabo.

En outre, il est à noter que bien que la salle de bain ne soit pas rutilante et qu’il y règne un certain désordre, elle n’est pas non plus un lieu singulièrement malpropre où tout le monde laisse traîner ses affaires sales. La pièce est petite et ne semble pas posséder de placards, pourtant il n’y déborde pas une quantité de serviettes incalculable compte tenu du nombre de membres de la famille. De plus, le seul effet de saleté provient du jeu d’ombres des serviettes et lavabo sur les carrelages au sol et sur les murs : la minuscule poubelle ne se remplit jamais et le nez ensanglanté de Kev ne laisse aucune trace.

Il ne s’agit donc pas de coller le plus possible à la réalité mais se focaliser uniquement sur les personnages. Shameless est décrite par John Wells comme une satire sociale se moquant des paradoxes et dysfonctionnements de la société américaine (« Il y a des moments dans la salle de montage où nous voyons une scène et nous décidons que nous ne l’utiliserons pas. Il y a une différence entre une scène qui se fait satyre de la société et le mauvais goût. »), mais elle ne cherche pas à s’apitoyer sur son sort. Ce sont les dynamiques entre personnages moins que le réalisme économique retranscrit dans le mobilier qui cherchent à être crédibles.

Source: *Stanitzek, G., Reading the Title Sequence (Vorspann, Générique), Cinema Journal 48, N°4, Summer 2009, p44-59.