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Versailles : la vie de château ?

Versailles : la vie de château ?
Fanny Lombard Allegra

Laissons, laissons entrer le soleil – le Roi Soleil. Canal + achève la semaine prochaine la diffusion de la première saison de Versailles, en attendant le tournage de la saison 2 prévu début 2016. Une série-événement  au budget colossal de plus de 30 millions d’euros, à la mesure des ambitions de la chaîne qui compte bien l’exporter pour en faire sa vitrine à l’international. Déjà vendue dans quasiment tous les pays européens, Versailles est-elle la voie royale ou bien un château en Espagne ? Season One vous dit si la visite vaut le détour.

En 1667, le château de Versailles tel que nous le connaissons n’est encore qu’un modeste pavillon de chasse. C’est pourtant là que Louis XIV (George Blagden) a décidé d’installer sa cour. A 28 ans, affecté par la mort de sa mère Anne d’Autriche (Dominique Blanc) survenue l’année précédente, et traumatisé par le souvenir de la Fronde qui a vu se rebeller une partie des grandes maisons, le jeune roi entend bien gouverner seul et s’affranchir de son entourage. Pour imposer son pouvoir absolu, il décide de soumettre la noblesse en l’attirant loin de Paris, dans un Versailles qu’il conçoit autant comme une cage dorée que comme le symbole éclatant de sa gloire et de son pouvoir. Mais son rêve de grandeur réveille les conspirateurs, à l’étranger comme au sein même du futur palais…

Canal + nous avait vendu du rêve, Versailles s’annonçait comme une fresque historique épique traitée sous un angle moderne, écrite par les chevronnés Simon Mirren (FBI Portés Disparus, Esprits Criminels) et David Wolstencroft (MI-5) avec le concours de spécialistes de l’époque ; on allait voir des décors grandioses, des costumes somptueux, des histoires de complots, de sexe et de pouvoir, le tout centré sur la personne de Louis XIV, monarque le plus emblématique et charismatique de l’Histoire de France. Il est donc d’autant plus difficile d’être objectif qu’on attendait énormément de Versailles… Sans doute un peu trop. Disons-le d’emblée, c’est une petite déception. Non pas que la série soit fondamentalement mauvaise, mais elle est loin d’être à la hauteur de ses promesses et surtout de ce qu’elle aurait pu être au regard du matériau de départ.

Dès le début, certains téléspectateurs ont été déçus par les premiers épisodes, dont ils ont fustigé la lenteur. A dire vrai, si la série prend effectivement le temps de la mise en place, elle entre tout de suite dans le vif du sujet.  Après un bref rappel des événements de la Fronde, elle pose d’emblée son fil conducteur par le truchement (certes peu original) du rêve, avec un Louis XIV voyant en songe la future galerie des glaces et décidant de transformer le modeste château en centre du pouvoir ; un complot fomenté par l’Espagne est déjoué, et la cour se divise entre les partisans d’un retour à Paris jugée plus sûre, les courtisans qui soutiennent la politique du Roi, et les conspirateurs qui comptent profiter de son affaiblissement. Il faut donc reconnaître que le pilote énonce rapidement les enjeux et jette clairement les bases d’une trame axée sur les intrigues – politiques et sentimentales – sur lesquelles va reposer son scénario.  Elle s’appuie en fait sur deux ressors principaux : les complots ourdis autour du Roi et sa rivalité (largement exagérée) avec son frère, Philippe d’Orléans.

Dans le rôle de Louis XIV, George Blagden (le Athelstan de Vikings) interprète un monarque d’abord en position de faiblesse, qui monte en puissance au fil des scènes jusqu’à imposer son autorité et sa vision politique. L’acteur est assez crédible, bien que parfois un peu trop exalté et démonstratif, oubliant la part d’ambiguïté et de manipulation de son personnage ; lui manquent aussi le charisme et la présence de son illustre modèle, mais peut-être parviendra-t-il à exploiter cet aspect dans les saisons à venir, si l’évolution devient plus évidente. Face à lui, son frère Philippe d’Orléans est incarné par un excellent Alexander Blajos, qui domine nettement la distribution. Personnage atypique, remarquable par son homosexualité affichée, sa loyauté totale envers le Roi en dépit de leurs désaccords et ses immenses qualités miliaires, Monsieur s’impose grâce au jeu de l’acteur qui alterne entre interprétation passionnée et retenue, dessinant le portrait d’un homme torturé à la douceur mélancolique insoupçonnée. Une complexité et une fragilité qui suscitent immédiatement la sympathie.  La relation entre les deux frères, fascinante, est habilement exploitée et leur affrontement passionne par les ressorts psychologiques qu’il met en scène.

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Versailles est en revanche plus maladroite avec ses autres personnages, qui restent en demi-teinte et sont cantonnés à un arrière-plan dont ils peinent à se détacher. Il n’est pas toujours facile de se repérer dans cette galerie de portraits faiblards, d’autant que la plupart des seconds rôles sont introduits dès le pilote sans être véritablement présentés. Versailles évite ainsi l’écueil d’un exposé trop scolaire qui aurait notablement alourdi son propos, mais il en résulté une impression de confusion rebutante au premier abord pour qui ne connaît pas un tant soit peu son Grand Siècle. La difficulté est encore accentuée par le mélange entre figures historiques comme Bontemps, Louvois, Henriette d’Angleterre, le Chevalier de Lorraine… et des personnages fictifs dont la présence paraît superflue. Outre des absences surprenantes (Où est donc passé Condé ? Et le Prince de Conti ? Et l’amiral de Vivonne, qui était tout de même le meilleur ami de Louis XIV ?), on peut s’interroger sur la nécessité de rajouter des protagonistes à une Histoire dont les chroniques sont déjà bien fournies en personnages hauts en couleurs. Ces nouveaux-venus imaginaires ne sont d’ailleurs pas très crédibles, à l’image de Claudine (Lizzie Brocheré, vue récemment dans The Strain), fille de médecin aspirant à prendre la succession de son père. Quant à Fabien Marchal, pourquoi l’avoir substitué à un d’Artagnan dont il est clairement inspiré (ne nous apprend-on pas qu’il a mis Fouquet aux arrêts ?!), à moins de craindre que le célèbre mousquetaire ne fasse de l’ombre au Roi Soleil… Même chose en ce qui concerne Béatrice de Lorraine (Amira Casar joue bien malgré l’invraisemblance de son rôle), noble désargentée usant des attraits de son sexe pour tenter de regagner son rang (que ces choses-là sont bien dites…) Fallait-il vraiment inventer un personnage amalgamant pêle-mêle Béatrice de Lorraine et les nombreuses dames de la cour dont la moralité ne faisait aucune ombre à l’ambition ?

De ce point de vue, Versailles n’est pas avare en parties de jambes en l’air : on couche souvent, joyeusement, et avec une vigueur toute exubérante. Rapports hétéro, homosexuels, voire les deux dans le cas de Monsieur (quoi que le vrai Philippe d’Orléans ait été moins enthousiaste à l’idée d’honorer ses épouses successives…) sont un passage obligé à chaque épisode.  Le Roi saute sur tout ce qui porte jupon ; tout ce qui porte jupon rechigne à se faire prier. Ne jouons pas les bégueules : on en a vu bien d’autres, de Spartacus à Marco Polo en passant par Rome ou Les Tudors. Mais tout comme les deux premières séries citées et à l’inverse des deux autres, Versailles se contente d’aligner les scènes de sexe pour tomber dans un racolage facile. Elle se borne à illustrer la luxure et la débauche de la Cour, passant ainsi à côté de l’essentiel – à savoir l’instrumentalisation du corps (et surtout du corps féminin) à des fins politiques.

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Rigueur historique mise à part, Versailles est une série prenante, l’intrigue avançant de manigances en complots, de tentatives de régicide en imbroglios sentimentaux. L’ensemble se suit sans déplaisir en dépit de l’absence évident de suspense – a priori, il y a peu de chance que Louis XIV soit assassiné… Les péripéties secondaires sont tout aussi haletantes, mais nettement plus dérangeantes dans leurs incohérences avec l’Histoire.  Revenons au personnage de Béatrice de Lorraine, prétendue cousine de Chevalier (Evan Williams, vu dans Awkward – on notera au passage l’absence du prénom, au cas où un spectateur abruti confondrait Philippe de Lorraine et Philippe d’Orléans.) Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, il est absurde d’en faire une Protestante acharnée en quête de vengeance, a fortiori à un moment où les tensions religieuses étaient relativement apaisées. Ce n’est qu’un exemple des multiples hiatus, raccourcis et anachronismes qui traversent la série : complot avancé de plusieurs années, erreurs dans le cadre protocolaire régissant les visites diplomatiques, présence à l’écran de personnages qui ne sont pas encore nés, manquements à une étiquette pourtant présentée comme essentielle…

Mais soit, soyons bon prince et reconnaissons que les décors et les costumes sont superbes, et admettons que les manquements à l’Histoire demeurent anecdotiques et nécessaires au développement des ressorts dramaturgiques.  Montrons-nous suffisamment magnanimes pour pardonner une réalisation paresseuse, sans aucune prise de risques. Oublions même le faux débat linguistique, certains critiques ayant déploré que la série ait été tournée en Anglais (Rome, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas été filmée en Latin).  Et bien malgré toutes ces preuves d’indulgence, Versailles reste une série en demi-teinte.

Ses créateurs et auteurs tombent en fait dans le piège qu’ils se sont eux-mêmes tendu. Ils ont voulu du spectaculaire et du grandiose : ils l’ont obtenu, au détriment de la subtilité et de la profondeur de l’analyse. Versailles est finalement une série grossière – non au sens de vulgaire mais de primaire. L’exemple parfait en est le simplisme navrant de la double symbolique avec d’un côté, la construction de la personnalité de Louis XIV illustrée par l’édification de Versailles, les deux s’élevant simultanément  comme si le palais figurait la représentation concrète de l’homme qui se réalise sous nos yeux ; de l’autre, l’analogie entre la mise en scène de la politique d’un Roi visionnaire et la communication des grandes entreprises actuelles, l’équipe créative martelant en interviews un rapprochement douteux entre Louis XIV / Versailles et Steve Jobs / Apple.  On pourrait ergoter de la justesse de la comparaison ; quelle que soit  sa pertinence, elle n’en est pas moins basique et caricaturale dans sa trivialité.

Fondamentalement, le travers est récurrent tout au long d’une saison moins gâchée par les inexactitudes et à-peu-près historiques que par la grossièreté d’un trait forcé. Les libertés que se sont accordées les scénaristes, arguant n’avoir fait que se glisser dans les non-dits et les ambiguïtés des chroniqueurs de l’époque, seraient tout à fait tolérables si elles s’inscrivaient dans une atmosphère, une ambiance recréant la quintessence de ce XVIIème siècle qui a marqué la naissance d’une culture, d’un luxe et d’un mode de vie à la française. Hélas, Versailles se centre uniquement sur un récit fait de conspirations et d’histoires de fesse, oubliant l’esprit délicieusement  raffiné et brillamment spirituel de la Cour. Les Arts, qui servaient la gloire du Roi et s’inscrivaient donc parfaitement dans la lecture proposée par la série, sont illustrés par une pauvre scène de danse ; les salons de jeux de Versailles se résument à une dizaine de courtisans réunis autour d’une table ; la platitude navrante de dialogues stéréotypés contraste avec la verve de personnages connus pour leur esprit sarcastique et le sel de réparties irrésistibles. Autant de détails désespérément absents de Versailles, et qui trahissent l’absence de vision d’ensemble d’une série qui ne cherche qu’à dérouler un axe dramatique rempli de rebondissements et de scènes sulfureuses et qui, se faisant, passe à côté de l’essentiel.

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La modernisation revendiquée par Versailles, qui prétend proposer une relecture du règne de Louis XIV au regard des codes de notre époque, est un échec parce que la série ne s’appuie pas sur ce qui constituait l’essence de l’époque, mais cherche à faire entrer sa vision dans un moule qui ne lui correspond pas, dût-elle pour cela  trahir la substance-même de son sujet. Le choix d’une musique contemporaine, par exemple, ne fonctionne pas et apparaît comme incongru (à l’exception peut-être du générique de M83, remarquable mais onirique et atemporel) ; le même artifice dynamitait en revanche une série comme Peaky Blinders parce qu’elle soulignait l’universalité du récit et sa modernité. Sans le socle de départ adéquat, la corrélation entre passé et présent sonne faux.

Ne soyons pas plus royalistes que le Roi : en elle-même, Versailles n’est pas une mauvaise série. Prise en dehors du contexte historique, elle est même plaisante à regarder, enchaînant des rebondissements prenants dans un cadre fastueux. Pas sûr, cependant, que cela suffise à convaincre les passionnés d’Histoire pointilleux qui, au vue de la richesse et de la saveur des chroniques de l’époque de Louis XIV, seront déçus du résultat. A voir si la saison 2 parviendra à concilier la qualité narrative déjà présente avec une perspective moderne plus aboutie, tout en se rapprochant de l’essence de son sujet. Car comme disait un certain Roi Soleil : « L’artifice se dément toujours et ne produit pas longtemps les mêmes effets que la vérité. »

Versailles – Série diffusée par Canal +

10 épisodes de 50 min.

Disponible en DVD le 15 Décembre.

Crédits: Canal+

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