Versus Episode 2: Elementary vs Sherlock
Les années 2010 ont marqué le retour d’un grand personnage de fiction : Sherlock Holmes. Remis à l’honneur, et au goût du jour, par un premier film de Guy Ritchie (2009), le détective conseil de Sir Arthur Conan Doyle est revenu sur le devant de la scène. Fort de nombreuses itérations cinématographiques et télévisuelles, de l’adaptation orthodoxe (1) à la comédie potache (2) en passant par le teen movie (3), les personnages du 221b Baker Street ont régulièrement été présents sur nos écrans depuis leur création en 1887, et appartiennent fermement à l’imaginaire collectif. Par nature, la télévision est certainement le meilleur média pour adapter ces aventures, puisque que à l’origine celles-ci étaient publiées par épisodes dans The Strand Magazine, un format qui est l’ancêtre de nos séries télé. Pas étonnant dès lors que Mister Holmes revienne en force sur nos écrans dans deux adaptations simultanées, chacune sur une rive de l’Atlantique. Sherlock (BBC/France 2) contre Elementary (CBS/M6), le duel peut commencer !
LES ADVERSAIRES
Sherlock (2010 – BBC/France 2)
Créée par Mark Gatiss et Steven Moffat pour la BBC, Sherlock propose 3 épisodes de 90 min par saison, deux ayant été diffusées à ce jour. Une troisième saison sera lancée en 2014.
La série met en scène Benedict Cumberbatch (Star Trek: Into Darkness) dans le rôle titre, Martin Freeman (The Hobbit) dans celui du Dr. Watson, et toute la galerie de personnages qui gravitent dans l’univers du détective : Lestrade (Rupert Graves), Mycroft Holmes (Mark Gatiss), Moriarty (Andrew Scott), Madame Hudson (Una Stubs) ou encore Irene Adler (Lara Pulver). L’action se déroule à notre époque et chaque épisode se base sur une des aventures littéraires écrites par Conan Doyle. A ce titre, la série fait un remarquable travail d’adaptation. Bien entendu, la production anglaise de cette adaptation permet de garder à Sherlock Holmes son côté très British qui fait intégralement partie du charme du personnage et de ses aventures. La série est un succès majeur, qui a notamment fait la notoriété du duo principal et que l’on voit aujourd’hui sur grand écran dans des rôles importants.
Elementary (2012 – CBS/M6)
La série créée par Robert Doherty a achevé la diffusion de sa première saison de 24 épisodes au mois de mai dernier et, avec une moyenne de 10 millions de téléspectateurs par épisode (ce qui place la série dans le top 10 des audiences des networks ndlr) a naturellement été reconduite pour une saison 2. L’action se déroule de nos jours à New-York. Sherlock Holmes, interprété par Jonny Lee Miller (Trainspotting, Eli Stone) est bel et bien anglais, expatrié aux Etats-Unis, et ancien drogué en désintoxication. Pour l’aider dans sa rémission, son père lui octroie les services d’un « compagnon de sobriété », ou plutôt d’une compagne, le Dr. Joan Watson, incarnée par Lucy Liu (Kill Bill, Ally Mc Beal). Il se trouve, bien entendu, que le bon Sherlock aide la police de New-York dans ses enquêtes, grâce au Capitaine Gregson (Aidan Quinn), ancien de Scotland Yard. La série est moins une adaptation des écrits de Conan Doyle qu’une réelle ré-interprétation des personnages et du mythe. L’ensemble est un procédural assez classique qui utilise les icônes de l’oeuvre littéraire pour fabriquer un cop show à la Castle.
ÉLÉMENTAIRE MON CHER…
Pas si simple de mettre face à face ces deux séries tant elles sont finalement chacune pratiquement sur tous les points une vision inversée l’une de l’autre. En effet, si Sherlock est sans doute l’adaptation la plus littérale en terme d’écriture, c’est également la plus originale en terme de mise en scène, là où Elementary s’éloigne beaucoup plus du matériaux d’origine pour les scénarii d’épisodes, mais est formellement beaucoup plus classique. Le point commun est sans doute une certaine vision de l’intellect du détective. En effet, dans les deux séries, Sherlock Holmes est un génie brillant dont l’existence est une course contre l’ennui, qui ne respecte aucune règle et vit uniquement selon les siennes. Face à ce comportement, le docteur Watson, qu’il soit John ou Joan, sert de garde fou, de “Jiminy Cricket”, en charge de remettre le chien fou dans le droit chemin. Pourtant une fois ce constat fait, la vision des deux séries est légèrement différente. En effet, là où Sherlock pose le personnage de Holmes comme tel, sans autre forme d’explication, le Sherlock Holmes d’Elementary trouve en partie l’explication d’un tel comportement dans la combinaison entre une extrême intelligence et un passé de drogué. Dès lors Joan Watson a, au départ, une position plus autoritaire que John Watson.
Autre élément de ressemblance-différence : le Dr. Watson. Dans les récits de Conan Doyle, Watson, blessé durant la seconde guerre Anglo-Afghane, rencontre Holmes à son retour en Angleterre, et devient non seulement son partenaire, mais aussi et surtout son biographe, celui qui raconte l’histoire. Dans Sherlock, Watson est blessé en Afghanistan (ce qui est strictement identique au personnage original de Conan Doyle… A un siècle et demi près, ndlr), rencontre Holmes à son retour en Angleterre et conte ses aventures au travers d’un Blog. Malgré une adaptation contemporaine, la nature générale du personnage est respectée. A l’inverse, le Dr. Joan Watson d’Elementary, est un ancien chirurgien qui a perdu un patient lors d’une intervention, a quitté la médecine et est devenu “compagnon de sobriété”. C’est sous cette dernière fonction qu’elle rencontrera Sherlock Holmes, employée par son père pour accompagner le génial junkie dans sa désintoxication. Dès lors, durant toute la première partie de la saison, c’est la base du rapport entre les deux personnages, et Watson n’assiste aux enquêtes que “par hasard”. De plus à aucun moment elle ne relate les aventures du détective. Enfin, le fait de faire de Watson une femme, une belle femme même, pose un nouveau paradigme entre les deux personnages que les amateurs de séries comme Castle connaissent bien: le fameux will they/won’t they, couchera ou couchera pas ?
DR. SHERLOCK & MISTER HOLMES
Bien que les deux séries mettent en scène le même personnage, et pas n’importe quel personnage, les enjeux de chacune d’elles sont radicalement différents, et ça se voit.
Pour Sherlock le parti pris est : “Prenons littéralement les histoires de Sherlock Holmes, et essayons de voir comment on peut adapter au 21e siècle tout leur contenu”. Dès lors la mise en scène fourmille de trouvailles pour mettre en évidence le sens dans le contexte moderne : incrustations de SMS à l’image, usage d’un plan animé pour figurer une poursuite, bref, la mise en scène est très imaginative et dynamique, à l’instar de l’écriture qui comporte parfois quelques vrais morceaux de bravoure dans les dialogues.
Pratiquement à l’opposé de cela, il y a le parti pris d’Elementary qui pourrait se résumer par : “Prenons les personnages de Conan Doyle comme point de départ, usons des éléments les plus connus de son univers, et construisons un show original avec ça”. A ce titre le CV du créateur du show est plutôt parlant : Star Trek: Voyager, Dark Angel, Tru Calling, Medium ou encore Ringer en tant que scénariste ou producteur. Du coup la série est beaucoup plus classique dans sa forme, mais aussi beaucoup plus éloignée de l’oeuvre originale. A l’évidence, l’ensemble est construit pour durer (rien que tenir les 24 épisodes d’une saison relève du miracle de nos jours ! ndlr), les éléments iconiques de l’univers de Sherlock Holmes sont distillés au compte goutte, la relation entre Holmes et Watson avance lentement, le passé des deux personnages est dévoilé par bribes. C’était sans doute pour CBS le meilleur choix possible après le succès du Sherlock de la BBC. Et bien leur en a pris au vu des audiences.
Au final, les deux séries offrent des plaisirs très différents. On ne peut s’empêcher de constater que Sherlock est tout de même qualitativement supérieure à Elementary, mais cette dernière se veut être une série sur la durée (à ce jour il y a 9h de Sherlock sur deux saisons face à 18h d’Elementary sur une seule saison), la perspective n’est pas tout a fait la même et il faudra juger à terme. Toujours est-il que dans les deux cas, l’interprétation des personnages est de très bonne qualité, notamment pour les rôles titres. Ce n’est sans doute pas pour rien que Benedict Cumberbatch et Jonny Lee Miller ont joué ensemble dans une pièce adaptée de Frankenstein (que l’on a pu voir en France dans certains cinémas) dans laquelle ils interprétaient alternativement le Monstre et le Docteur !
Crédits: BBC/ CBS
Index:
1 Les Aventures de Sherlock Holmes de Michael Cox en 1984 ITV/FR3
2 La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder en 1970
3 Le Secret de la Pyramide de Barry Levinson en 1985
Pingback: Elementary réussit son arrivée sur M6 | Season One()