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Un Commentaire

Vogel, un vrai bon méchant de fiction

Vogel, un vrai bon méchant de fiction
Alexandre LETREN

Alors que la saison 3 de Braquo est diffusée sur Canal+, l’occasion était trop belle pour nous de revenir sur cet incroyable personnage qu’est Vogel, ancien membre de l’IGS, la police des polices, et qui a juré, coûte que coûte d’avoir la peau de Caplan et de son équipe après avoir échoué à les faire tomber. Un bon héros n’a de véritable sens que s’il a un méchant à sa hauteur (tel Moriarty et Sherlock Holmes). Roland Vogel est le parfait némésis de Caplan.
Mais, si sur le papier, le personnage avait tout pour séduire, il demeure un personnage banal, classique du polar car l’inspecteur de l’IGS est toujours montré comme un salaud. Il faudra le talent conjugué d’un scénariste, Abdel Raouf Dafri, et surtout d’un brillant comédien, Geoffroy Thiebaut, pour lui faire prendre son envol et ainsi devenir ce que la télévision n’est que trop souvent parvenu à faire: créer un vrai méchant, juste animer par le besoin de faire le mal.

« On a tous une partie sombre en nous. Pour préparer le rôle, j’ai regardé beaucoup de films de psychopathes et il y en a un qui m’a marqué et influencé c’est Anthony Hopkins, jouant Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux. On  a cette scène incroyable où Jodie Foster arrive face à lui, alors qu’il est dans sa cellule, pour la première fois. Et c’est ce type de composition fait par Anthony Hopkins que j’ai modestement essayé de reproduire: il joue la pire ordure qui soit mais il est calme, toujours un petit sourire aux lèvres et c’est sous cet aspect là de simplicité et de gentillesse qu’il va commettre les pires horreurs. »

Au départ, sous la plume de Olivier Marchal, Vogel a déjà cette ambiguïté là en lui mais n’est pas encore le personnage que Abdel Raouf Dafri en fera en saison 2. On sent bien qu’il a cette froideur particulière avec l’équipe de Caplan, mais on est très loin d’imaginer ce qu’il va devenir par la suite.

« Quand Olivier Marchal m’a au tout début parlé du rôle de Vogel, il m’a dit de puiser au fond de moi pour avoir une voix grave. Ce type là, il a une voix calme et il est posé. C’est la seule chose qu’il m’a demandé pour composer le rôle. J’ai tenu cette note là et c’est grâce à ça, grâce à ce que m’a demandé Olivier (Marchal) que j’ai compris qui était Vogel. »

Vogel BraquoEn saison 2, alors que la série amorce sa mue et s’apprête à changer sous la plume de Abdel Raouf Dafri, le personnage de Vogel amorce également la sienne. Discrètement. Sans faire de bruit. Geoffroy Thiebaut se glisse alors dans la peau de ce « nouveau » Vogel tel un félin. Doucement, à pas feutrés. Sans que personne ne puisse deviner le visage qu’il va lui donner. Car on est très loin de s’imaginer que la composition du comédien va emmener le personnage dans des contrées que l’on n’a pas l’habitude de voir dans notre fiction.

« Il y avait une scène qui était écrite au départ, dans la saison 2, par Abdel dans laquelle Vogel doit descendre à la cave voir sa prisonnière (son ancienne partenaire de l’IGS ndlr). Et j’ai dit qu’en fait ce qui serait génial, c’est qu’il ne descende pas. Il est là, depuis deux heures, assis et il la regarde dormir. Il l’a regarde et c’est d’un seul coup hyper dangereux car on ne sait pas depuis combien de temps il est là, ni ce qu’il va faire. Comme un chat, un félin, ou même un oiseau de proie, attendant sa victime. Qu’est ce qu’il va faire dès qu’elle va se réveiller? Et pour m’installer et la regarder, j’avais choisi cette position qu’a dans Blade Runner, Rutger Hauer au moment de sa mort, recroquevillé comme un oiseau assis sur un fil électrique. Assis, comme s’il allait bondir. »

En fin de saison 2, quelque chose se passe. Dans une saison qui globalement semble se chercher une identité, un comédien, un rôle, a pleinement trouvé la sienne. Et le public le comprend aussi quand Vogel se rase la tête, se déguise en femme pour piéger sa « cible ». Dès lors, on assiste à quelque chose de totalement délirant mais de terriblement jouissif, tant pour Geoffroy Thiebaut, que pour nous, spectateurs. Et pourtant, la scène aurait pu être d’un ridicule total (sans doute que certains d’entre vous le pensent d’ailleurs). Mais en voyant ce Vogel capable d’être là, présent, et pas ridicule, dans cette tenue, on se dit que cet acteur est en train de nous proposer quelque chose de vraiment surprenant.

« Cette scène est incroyable. Je me suis terriblement amusé à la faire, quand il s’approche de sa collègue et lui dit « T’as du feu Valérie » en perruque blonde et talons hauts, c’est vraiment génial. Une réplique qui était pas écrite à la base. Je me suis entraîné à marcher avec des talons aiguilles. Je voulais à tout prix que ce type, même quand il se déguise, il ne soit pas ridicule. Ce qui le rend du coup encore plus effrayant. »

vogelBien entendu, on peut être d’accord et dire que cette métamorphose de Vogel sort un peu de nulle part. Qu’elle ne correspond sans doute pas à l’évolution du personnage que l’on découvre en saison 1. Mais ce changement était nécessaire. En simple « bœuf carotte » voulant faire tomber le ripou Caplan, personne ne se serait sans doute intéresser à ce personnage. Mais en en faisant un méchant charismatique, Abdel Raouf Dafri a tenté un pari très risqué mais qui se révèle terriblement efficace et sans doute salutaire pour la série et, plus largement, pour les séries en France.
A tel point qu’aujourd’hui, Vogel fait parti intégrante de Braquo, au même titre que Caplan et son équipe. Sans doute peut-on penser que la série se terminera en saison 4, 5 ou 6 sur l’ultime affrontement de Caplan avec Vogel. Il ne peut pas en être autrement. Car si la série a été au début une chronique amère sur la condition de flic, elle devenue aussi, en assez peu de temps finalement, l’histoire d’un face à face entre ces deux hommes. Deux brillants comédiens qui se font face dans des scènes d’une grande intensité.

Jouer un méchant est pour un comédien une grande bénédiction. Beaucoup le souhaite, peu en sont réellement capable, pour différentes raisons qui n’ont rien à voir avec leur talent, ils en sont parfaitement capables mais leur image ne colle sans doute pas à ce type de personnage. Geoffroy Thiebaut fait parti de ces rares comédiens pouvant vous glacer le sang à l’image d’un simple rictus. Et ça, c’est signe d’un grand talent!

« Jouer un méchant est une grande chance pour moi. Après 30 ans de métier, les professionnels adhèrent à mon travail et me considèrent comme un véritable acteur. Et ça me touche beaucoup qu’on reconnaisse enfin mon travail. En revanche, en France, on a très vite tendance à cataloguer les gens dans les rôles qu’ils font et on me voit peut-être un peu trop dans ce registre. J’ai juste envie qu’un réalisateur souhaite travailler avec moi en se disant que je peux donner beaucoup. »

Malgré toutes les imperfections de Braquo, j’ai envie de remercier Abdel Raouf Dafri d’avoir donner une seconde vie à ce personnage incroyable et de nous avoir offert ce type méchant que l’on voit si souvent à la télévision américaine et qui nous manquait cruellement, chez nous. Et un grand bravo à Geoffroy Thiebaut pour l’incroyable partition qu’il nous offre au fil des épisodes.

Crédits: © Canal+

Remerciements à Geoffroy Thiebaut pour son temps et pour cette passionnante discussion!

Retrouvez la critique de la saison 3 Braquo: « 4 moins 1 Caplan! »