Inside n°9: Claustrophobes s’abstenir
Entrez, et faites comme chez vous. Vous prendrez bien une tasse de thé et une tranche de série ? Créée par Steve Pemberton et Reece Shearsmith, anciens complices de Mark Gatiss et déjà responsables de Psychoville, Inside N° 9 est un OVNI télévisuel comme seuls les Anglais peuvent en produire. A l’heure où la deuxième saison s’achève sur la BBC2, entrons donc au n°9…
Inside N°9 est une anthologie, ce qui signifie que chaque épisode peut être vu indépendamment des autres. Le seul point commun ? L’action se déroule immanquablement en huis-clos, dans un lieu portant le n°9 – wagon n°9, chambre n°9, 9 something street, loge n°9. Pour le reste, les situations, les décors, les personnages n’ont aucun lien entre eux. Le concept présente à la fois des avantages et des inconvénients : d’une part, il permet aux auteurs de s’affranchir des contraintes d’une narration suivie et chaque épisode est une page blanche où ils peuvent développer un univers spécifique ; d’autre part, chaque histoire doit être achevée en un épisode et l’ensemble doit tout de même présenter une cohérence sous peine d’apparaître comme un amas de scénarii disparates. Inside N°9 s’en sort bien, sans pour autant éviter tous ces pièges.
Disons-le tout net, la présence du nombre 9 est anecdotique et ne saurait constituer à elle seule l’épine dorsale de la série. Le choix d’épisodes en huis-clos est déjà beaucoup plus intéressant, puisque l’unité de lieu catalyse l’action en accélérant la dynamique de l’intrigue. Elle oblige aussi les auteurs à se creuser les méninges pour caractériser le cadre et la thématique : il leur faut pousser virtuellement les murs, trouver un moyen de s’échapper d’un lieu restreint et rendre radicalement différente la maison n°9 de l’appartement n°9. Ils y parviennent en variant les registres et la forme, parodiant sans complexe plusieurs genres avec plus ou moins de finesse. On passe ainsi de la pièce de théâtre au film d’horreur gothique, du drame au thriller psychologique.
Paradoxalement, c’est lorsque d’autres contraintes se juxtaposent au huis-clos que cela fonctionne le mieux : un épisode (A quiet night in) presque totalement muet raconte les mésaventures de deux cambrioleurs du Dimanche (avec, au passage, la présence au casting d’Oona Chaplin !) ; un autre (The sardins) se déroule quasiment exclusivement dans un… placard (si, si) pour une partie de cache-cache où de vieux secrets remontent à la surface ; un autre encore, (The understudy) découpé en 5 actes et calqué sur MacBeth, prend place dans une loge de théâtre où la doublure rêve de prendre la place de la vedette. La présence d’un unique décor facilite aussi les ellipses temporelles, bien que de manière un peu artificielle. Ainsi, dans un épisode relatant 12 journées importantes dans la vie d’une femme dans son appartement (12 days of Christine), la présence d’une photo ou d’un élément de décor permet de dater l’action et d’indiquer le passage du temps.
Si les épisodes sont tous extrêmement différents les uns des autres, ils se rejoignent en revanche sur un certain nombre de points, au premier rang desquels le ton puisqu’on ne s’écarte quasiment jamais du registre purement comique, avec un humour so british qui exploite tous les ressorts du genre jusqu’à frôler l’overdose. Humour noir, ton pince-sans-rire, saillies hyper référencées, nonsense total, remarques très politiquement incorrectes, blagues grasses : tout y est ! A croire que les deux créateurs ont bouffé du Monty Pythons ; ils ne l’ont pas toujours bien digéré et on voit parfois arriver le gag à des kilomètres. A défaut d’une franche rigolade, cet humour très particulier a tout de même quelque chose de jubilatoire qui provoque immanquablement plusieurs sourires.
Un autre point commun tient dans la présence systématique d’un retournement final, souvent totalement inattendu et néanmoins cohérent avec le reste de l’histoire. Un basculement brutal, qui peut soit donner un tout autre éclairage à l’ensemble de l’épisode, soit le conclure de manière complètement décalée. Dans les deux cas, on peut regretter que la fin soit quelquefois un peu trop expéditive et pas toujours bien amenée… C’est le principal défaut de la série, qui souffre de problèmes de rythme : la durée des épisodes ne suffit pas toujours aux auteurs pour achever parfaitement leur récit et ils précipitent alors la conclusion, qui laisse un sentiment d’inabouti ; ou au contraire, ils semblent avoir du mal à remplir complètement ces 30 minutes, et l’exercice devient alors laborieux. Par exemple, « A quiet night in » (le cambriolage quasi-muet) traîne en longueur ; a contrario, « The harrowing » (conte gothique où un couple cherche un nouvel hôte pour le démon qui a pris possession de leur frère aîné) voit sa fin expédiée en moins d’une minute. Des conclusions inégales, que l’on devine parfois facilement ou qui vous laissent au contraire pantois. Dans tous les cas, vous voudrez forcément connaître le dénouement. L’exercice est certainement facilité par la forme, variable, qui déstabilise le spectateur puisqu’il ignore jusqu’au bout ce qu’il est en train de regarder exactement…
Si les histoires et l’angle sous lequel elles sont présentées se renouvellent sans cesse, une critique acerbe affleure derrière la plupart d’entre elles. Quand « Last gasp » (une pop star tombe raide morte alors qu’elle rendait visite à une petite malade) brocarde cruellement le charity business, « The harrowing » effleure le thème de la prise en charge du handicap, « A quiet night in » celle de la valeur de l’art moderne, « Tom and Gerri » (un homme héberge un SDF envahissant) creuse la question de la dépression et des différences sociales, « The understudy » celle de l’ambition, « The trial of Elizabeth Gadge » (un procès en sorcellerie) brocarde l’obscurantisme.
Enfin, on ne saurait passer sous silence la galerie d’excellents acteurs qui composent le casting : Conleth Hill (vu dans Game of Thrones), Lindsay Marshall (de Rome), Gemma Arterton, Tom Riley, et les deux auteurs eux-mêmes incarnent, entre autres excellents comédiens, les différents personnages.
Inside N°9 est presque un exercice de style, elle s’enferme dans des contraintes dont elle parvient à tirer profit sans en éviter les écueils. Il faut toutefois reconnaître l’originalité avec laquelle la démarche est menée, et les artifices utilisés par les auteurs. La réussite n’est pas toujours totale, mais la série est suffisamment intrigante pour susciter l’intérêt, et suffisamment machiavélique pour tenir le spectateur en haleine. Equivalent télévisuel des nouvelles de Saki, qu’elle rejoint sur la construction et l’humour, Inside N°9 est une série culottée et originale, qui aurait pu être davantage aboutie. L’un dans l’autre, elle vaut bien un coup d’œil, ne serait-ce que parce qu’elle se réinvente à chacun de ses 12 épisodes. (A noter qu’un 13ème opus inédit est disponible sur internet, sur le site de la chaîne.)
Crédits: BBC
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