Odysseus: Le dur retour à la réalité
La review
LA SERIE
8LE SCENARIO
7.5LE CASTING
7LA REALISATION
6LA MUSIQUE
7En juin prochain, Arte va lancer sa nouvelle série, un projet extrêmement ambitieux baptisé Odysseus. Créée par Frédéric Azémar (Un village français) et fruit d’une coproduction internationale, Odysseus, portée par un brillant casting, entreprend de revisiter le mythe de l’Odyssée d’une manière extrêmement originale. Projet ambitieux, pharaonique, mais tient-il jusqu’au bout toutes ses promesses?
Situation critique à Ithaque : voila dix ans que La Guerre de Troie est terminée et que tous les guerriers sont rentrés, tous sauf un : Ulysse, dont la rumeur dit qu’il s’est perdu en mer. Ithaque, privée de roi depuis trop longtemps, manque de tout, et le peuple commence à gronder. Pénélope préserve comme elle peut le trône de son mari et tient à bout de bras ce qui lui reste de pouvoir. Elle doit faire face chaque jour aux doutes de tous sur le retour d’Ulysse, et aux manigances de Léocrite, chef des guerriers prétendants au trône. Protégé et écarté par sa mère des jeux de pouvoir, Télémaque, jeune prince ni stratège ni guerrier, devra pourtant agir pour Ithaque. Télémaque sera-t-il capable de défendre le trône de son père ? Et si, après 20 ans d’absence, Ulysse revenait ?
L’ombre d’un mythe
« La trahison doit être punie«
Avant de revenir sur la série Odysseus, un petit rappel de ce qu’est l’Odysée d’Homère s’impose.
L’Odyssée relate le retour chez lui du héros Ulysse, qui, après la guerre de Troie dans laquelle il a joué un rôle déterminant, met dix ans à revenir dans son île d’Ithaque, pour y retrouver son épouse Pénélope, qu’il délivre des prétendants, et son fils Télémaque. Au cours de son voyage sur mer, rendu périlleux par le courroux du dieu Poséidon, Ulysse rencontre de nombreux personnages mythologiques, comme la nymphe Calypso, la princesse Nausicaa, les Cyclopes, la magicienne Circé et les sirènes. L’épopée contient aussi un certain nombre d’épisodes qui complètent le récit de la guerre de Troie, par exemple la construction du cheval de Troie et la chute de la ville, qui ne sont pas évoquées dans l’Iliade. L’Odyssée compte douze mille cent neuf hexamètres dactyliques, répartis en vingt-quatre chants, et peut être divisée en trois grandes parties : la Télémachie (chants I-IV), les Récits d’Ulysse (chants V-XII) et la Vengeance d’Ulysse (chants XIII-XXIV).
L’intérêt de la série repose en deux points: raconter ce qu’il se passe à Ithaque durant l’absence d’Ulysse, mais aussi comment, après son retour qui survient assez rapidement dans l’histoire, il va en reprendre le contrôle (d’abord face aux prétendants, puis à leurs fils et enfin face à Sparte).
La première partie (celle qui se déroule en l’absence d’Ulysse) est primordiale pour bien saisir les enjeux de la seconde. Cette partie est non seulement celle où les manigances politiques se mettent en place mais aussi celle où l’on peut saisir toute l’ambiguïté des relations qui lient Télémaque à sa mère et l’image qu’il a de son père. En cela, Télémaque est un peu l’oeil du téléspectateur. Comme nous, il ne connait pas bien finalement ce père qu’il n’a pas ou peu connu, mais l’image qu’il en a est, comme pour nous, celle du héros de la mythologie. L’image véhiculée par ce que les gens disent de lui, les récits et surtout, la légende. En effet, comme pour Télémaque, Ulysse nous apparaît avant son retour, mais aussi avant même le début de la série, comme un héros au sens le plus pur du terme. Un homme doté de bravoure et qui a affronté 1001 dangers. Et surtout, quoi qu’on en pense, il a pour chacun d’entre nous une image positive. Et c’est en jouant avec cette « image » que la série prend toute sa superbe.
La série prend en effet le parti de replacer le mythe d’Ulysse dans un monde réel. Bien que totalement mythologique, l’univers de la série pourrait très bien être notre Antiquité. La guerre de Troie pourrait très bien avoir existé. Point de monstres issus des légendes ici (comme le Cyclope ou les sirènes) si ce n’est dans les récits que fait Ulysse. Pas d’éléments surnaturels, juste des faits.
En découvrant le personnage d’Ulysse dans le reste de la série, on peut même se demander si le récit qu’il fait de ses voyages n’est pas là pour nourrir la construction de son propre mythe. Et pour renforcer le côté « historique » de la série, les auteurs n’hésitent pas à faire de Homère un membre à part entière d’Ithaque.
L’univers de Odysseus, c’est un monde dans lequel les hommes croient aux dieux, les invoquent mais ne les voient jamais (là où ils apparaissaient dans l’Odyssée). Un monde dans lequel les hommes font la guerre et en ressortent particulièrement brisés. Le siège de Troie, bien loin de la légende du cheval, fut un vrai massacre. Les vaincus ont été transformés en esclaves et les vainqueurs traumatisés. Ulysse est l’un de ces hommes. Profondemment marqué par une guerre qu’il ne souhaitait pas faire, traumatisé par cette guerre et son difficile retour chez lui, Ulysse en reviendra profondemment et définitivement changé. Et avec ce retour tant attendu, censé ramener la paix sur son île, c’est à la face cachée du mythe que la série s’attaque: la naissance d’un tyran.
Magnifiquement interprété par Alessio Boni, Ulysse connaît un destin brisé dès lors qu’il pose le pied sur le sol d’Ithaque. Ne supportant pas que la vie ait pu continuer sans lui durant ces 20 dernières années, il développe une véritable paranoïa qui n’aura de cesse de grandir au fil des épisodes. Comme bon nombre de dictateurs après lui, Ulysse pense que tout le monde le trahit et complote contre lui. Censé ramener la paix sur son île, il va en réalité la plonger dans le chaos, éliminant systématiquement celles et ceux qui se dressent contre lui, parfois de manière totalement injuste et disproportionnée (voir le sort réservé aux Troyiennes). Victime d’une blessure (comme un Henri VIII après un tournoi), Ulysse ira de plus en plus loin et sa barbarie poussera même ses proches à comploter contre lui pour le renverser, voire l’éliminer. Et comme un dernier sursaut avant la chute, Ulysse supprimera ce qu’il reste de démocratie à Ithaque et la transformera en véritable dictature. Mais, comme un dernier élan d’héroïsme, c’est au crépuscule de sa vie qu’il retrouvera, face à Ménélas (roi de Sparte), toute sa superbe.
Ulysse apparaît tout au long de la série comme un homme brisé par la guerre et qui semble finalement ne pas vouloir s’autoriser à être heureux…pour le plus grand drame des siens, à commencer par sa femme Pénélope (qui ne reconnaît plus l’homme qu’elle a épousé à 15 ans) et son fils, élevé dans le culte de ce père modèle.
La série est une totale réussite, ne tournons pas autour du pot. Même si la première partie (épisodes 1 à 4) est nécessaire pour appréhender toute l’essence de la série (énoncée au dessus), elle souffre tout de même d’épisodes irréguliers et d’un manque de rythme par moment. Ces épisodes permettent cependant de mettre en place des personnages fascinants en tête desquels je place Clea, jeune esclave troyienne, appelée à jouer un rôle essentiel dans le destin d’Ithaque. La jeune Karina Testa est juste resplendissante dans ce rôle extrêmement important. Mais dès le superbe épisode 4, tout ce qui fait le sel de la série se met en place et c’est véritablement à une tragédie grecque que l’on va assister (et ce, jusqu’à la fin de l’épisode 12).
Bouleversante, lyrique, grandiose, la série s’envole et nous prend par les tripes pour ne plus nous lâcher. On est pris par le destin de ces hommes et de ces femmes qui assistent, impuissants, à la chute de celui qu’ils voyaient comme un héros. Le destin d’Ulysse, terriblement humain, nous bouleverse et nous retourne, tellement il est fascinant et bien écrit.
Télémaque est aussi très bien interprêté par Niels SCHNEIDER même si, on ne va pas se mentir, ce n’était pas totalement gagné dans les premiers épisodes tant son personnage avait le chic pour devenir agaçant. Mais c’est quand l’image qu’il a de son père se brise qu’il devient vraiment passionnant. Et n’oublions pas que, malgré l’époque très masculine, la série offre de très beaux rôles de femmes fortes, aux destins divers.
Enfin, sans la musique, la série ne serait rien. La BO de Bernard GRIMALDI est juste superbe et parvient à chaque note à saisir LA bonne émotion du moment.
Non la série n’est pas parfaite. Oui il y a des défauts (les décors de l’intérieur d’Ithaque sont assez limites et on voit bien, par le jeu de lumières, le tournage en studio). Mais face à un tel propos à savoir la déconstruction d’un mythe pour le ramener à une figure terriblement humaine, on ne peut que se laisser emporter et on en oublie volontiers ce qui peut nous gêner a priori. Comment ne pas être saisi par le destin de ces personnages? Comment ne pas être bouleversé de voir ce héros qu’est Ulysse s’autodétruire? Un grand coup de chapeau à Frédéric Azémar et son équipe pour le travail accompli. Oysseus prouve que quand on veut, on peut faire un vrai divertissement populaire intelligent. Et rien que pour ça, on ne peut que les saluer.
Réalisateur : Stéphane GIUSTI
Une série créée par Frédéric AZEMAR
Musique Originale : Bernard GRIMALDI
Auteurs : Frédéric AZEMAR, Olivier DUJOLS, Marine FRANCOU,Fanny HERRERRO, Olivier KOHN, Flore KOSINETZ, Frédéric KRIVINE, Elsa MARPEAU, Florent MEYER, Zina MODIANO, Anne PEYREGNE, Stéphane PIATZSZEK, Marie ROUSSIN.
Pénélope: Caterina MURINO
Ulysse: Alessio BONI
Télémaque: Niels SCHNEIDER
Cléa: Karina TESTA
Léocrite: Bruno TODESCHINI
Mentor: Joseph MALERBA
Eurynomé: Vittoria SCOGNAMIGLIO
Laerte: Carlo BRANDT
Orion: Salim KECHIOUCHE
Antinoos: Augustin LEGRAND
Thyoscos: Frédéric QUIRING
Liodès: Ugo VENEL
Eukharistos: Amr WAKED
Coproduction France : ARTE France, GMT, MAKINGPROD, Coproduction Italie : PEPITO PRODUZIONI, MOVIE HEART, Avec la participation de la RAI UNO Production Exécutive Portugal : SUNFLAG
Crédits: © Jean-Marie Marion / Arte
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