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5 Commentaires

Tous les chemins mènent à Rome

Tous les chemins mènent à Rome
Fanny Lombard Allegra

Tu quoque, OCS ? Après de multiples diffusions en France, Rome revient sur OCS City le jeudi soir, à 20H40. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir cette remarquable série de 22 épisodes qui fut, avant Game of Thrones, celle de tous les superlatifs : un budget colossal, des décors grandioses reconstitués à Cinecittà, plus de quatre mille costumes… Au départ prévue pour 5 saisons, Rome fut justement annulée en raison de son coût prohibitif et de l’incendie d’une partie des décors. Restent les deux premières saisons, qui retracent un pan de l’Histoire romaine en racontant l’ascension et la mort de César, puis la confrontation entre ses héritiers.


Une Histoire que nous suivons à travers les destins de deux légionnaires, Lucius Vorenus et Titus Pullo, qui ne sont pas totalement fictifs puisque leurs noms sont mentionnés dans une ligne de la « Guerre des Gaules » de Jules César. Ces obscurs protagonistes sortent de l’ombre et prennent chair dès le premier épisode aux côtés des grands personnages de l’Antiquité.

Le premier, le centurion Lucius Vorenus (impeccable Kevin McKidd), est un plébéien que l’on pourrait qualifier de « conservateur ». Attaché au respect des coutumes et des institutions traditionnelles, c’est un pater familias aimant mais maladroit, incapable de montrer ses sentiments. De retour à Rome après des années de campagne en Gaule, il se retrouve étranger en son propre foyer, auprès d’une épouse qui le croyait mort, de deux filles qui ne le reconnaissent même pas, et d’un petit garçon qui n’est pas le sien. Arc-bouté sur ses principes, c’est presque par accident qu’il lie son sort à celui de Jules César puis de Marc Antoine, et à contrecœur et par respect de la parole donnée qu’il leur reste fidèle, même quand leurs agissements vont à l’encontre de ses idéaux.

A ses côtés, Titus Pullo (Ray Stevenson) est son exact contraire : ce simple soldat a tout de la brute épaisse. C’est un rustre sans grande éducation, sans projet d’avenir et qui jouit de tout ce que la vie lui offre, baisant et buvant comme si chaque jour était le dernier. Il méprise la hiérarchie et la morale des Anciens, dilapide sa solde aux dés et prête son glaive aux truands locaux pour gagner de quoi vivre. Mais c’est aussi un homme généreux, dont les actes sont dictés à la fois par l’honneur et l’amitié.

Sans surprise, le hasard va pourtant rapprocher ces deux personnalités antagonistes, faisant naître entre eux une amitié aussi profonde qu’inattendue tandis qu’ils assistent aux soubresauts d’une Histoire dont ils sont les acteurs involontaires et les témoins privilégiés.

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Quand la première saison est centrée sur la prise de pouvoir puis la chute de César – sa victoire sur Vercingétorix lors de la Guerre des Gaules, la guerre civile qui l’oppose à Pompée, sa liaison avec Servilia (la mère de Brutus) puis avec Cléopâtre, son retour triomphal et sa mainmise sur Rome, et enfin son assassinat par une coalition républicaine en 44 avant J.C. -, la seconde enchaîne la narration en racontant l’alliance d’Octave, petit-neveu et héritier de César, et de Marc Antoine, son lieutenant, qui s’unissent pour venger sa mémoire en combattant ses meurtriers avant se livrer à leur tour une guerre sans merci : Antoine, nouvel amant de Cléopâtre, s’allie à la belle Egyptienne ; ils sont vaincus lors de la bataille d’Actium et se suicident en laissant Octave seul maître de Rome, en 29 avant J.C.

Voilà pour la partie purement historique, relativement fidèle aux événements en dépit de quelques aménagements nécessaires à l’intrigue. Certains faits ont été éludés, comme la campagne de César contre le roi Pharnace (« Veni, vedi, vici« ), ou des personnages secondaires supprimés, mais Rome colle plus ou moins à la réalité. C’est surtout le cas dans la première saison, par exemple avec l’assassinat de César, fidèle au texte de Suétone à la ligne près. La seconde partie est plus contestable, encore que les scénaristes aient surtout profité des vacances des sources antiques, remplissant les béances en imaginant des liaisons, des rencontres et des interactions non avérées, mais a priori possibles. D’autant que les textes d’époque, partiaux et partiels, rendent  relative toute interprétation des évènements. Rien ne prouve qu’Antoine ait été l’amant de la nièce de César ; rien ne prouve le contraire…

Le véritable intérêt de la série et ce qui la rend passionnante pour tout féru d’Antiquité, c’est bien davantage la reconstitution de la vie et de la société romaines. Au-delà des batailles et des alliances politiques, Rome dépeint avec une précision remarquable ce qu’était Rome (!) au Ier siècle avant notre ère : omniprésence de la sexualité à une époque où la notion de pudeur différait totalement de la nôtre, émancipation de la femme, poids économique de l’esclavage, creusement des inégalités, prépondérance des rites religieux, exclusion sociale des vétérans démobilisés… Un soin particulier a été apporté aux costumes et aux décors, l’Urbs n’ayant jamais été montrée avec un réalisme aussi cru – un monstre urbain de crasse et d’ordures, aux murs couverts de graffiti et aux ruelles étroites et encombrées grouillant d’une populace interlope et métissée, où les plébéiens les plus misérables côtoient les litières des patriciens portés par leurs esclaves.

Rome est donc une excellente série historique, malgré quelques erreurs assumées ou anachronismes anecdotiques. Cependant, la qualité de la reconstitution, unanimement saluée par les historiens, ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’abord une excellente série – tout court. Elle le doit à une dynamique parfaite, des dialogues soignés, un langage modernisé plus proche de la réalité que les vers d’un Racine, des batailles épiques, un ton volontairement décomplexé qui donne un sérieux coup de jeune à l’Antiquité. Elle atteint surtout son but parce qu’elle touche à la quintessence de la tragédie, celle de destinées individuelles qui se fracassent contre le mur de la grande Histoire, de personnages balayés par l’inéluctabilité d’événements qui les dépassent.

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Et quels personnages ! Portée par un casting irréprochable, Rome entremêle personnages réels et fictifs avec brio. Les grandes figures historiques sont calquées sur le portrait qu’en font les historiographes : César (remarquable Ciaran Hinds) est un meneur d’hommes charismatique dévoré par l’ambition ; Marc Antoine (génialissime James Purefoy), un débauché incapable de contrôler ses pulsions ; Octave, un politicien machiavélique de génie ; Cléopâtre, une garce aussi sexy que manipulatrice ; Pompée, un vieillard dépassé par les évènements ; Cicéron, un pleutre opportuniste à l’esprit acéré ; Brutus, pauvre type paumé et traître par idéalisme. Pour autant, ils ne sombrent pas dans la caricature, et leur complexité transparaît quand on l’attend le moins : la sérénité d’un Cicéron devant la mort, le tourment de César abandonnant sa maîtresse Servilia pour des motifs politiques, la flamboyance et le pathétique successifs d’un Antoine dessinent des portraits d’êtres humains, bien loin des livres d’Histoire.

On a surtout parlé des hommes ; les femmes ne sont pourtant pas absentes. Caton l’Ancien disait lui-même que les Romains dominaient le monde, et que leurs femmes dominaient les Romains. Ici, le trait est outrancier et les Romaines sont presque toutes dépeintes comme de sulfureuses intrigantes qui œuvrent en coulisses, usant de leurs charmes pour parvenir à leurs fins. Tel est le cas d’Atia (Polly Walker), qui n’hésite pas à marier sa fille en fonction de ses intérêts politiques, à manipuler son fils Octave ou à tenter d’empoisonner sa rivale Servilia. Ou de cette même Servilia, qui recourt à la magie noire pour précipiter la chute de son ex-amant César. L’approche manque cette fois de finesse, mais elle souligne l’évolution du statut de la femme romaine à la fin de la République et son influence politique.

La première saison est tout simplement parfaite ; la seconde présente des défauts de construction, éloignant notamment Pullo et Vorenus de l’action historique pour suivre leurs vies personnelles de façon parallèle. L’idée est bonne, mais le procédé maladroit. Pour autant, et en dépit de quelques réserves, Rome demeure un monument épique construit avec la chair et l’âme d’êtres humains emportés par le souffle de l’Histoire, une fresque vivante à l’image des peintures du générique, qui s’animent pour sortir de la fixité où le temps les avait figées. Une série remarquable qui, en plus, vous donne envie d’ouvrir un livre de Tacite ? Ce n’est pas si courant.

Crédits: HBO

  • https://season1.fr Christophe Brico

    Chère Fanny,

    Voilà un bien bel article sur une série fondamentale de l’ère moderne de la télévision.

    J’ajouterai simplement deux petites choses :

    Sur le fond un des grands intérêts de la série est la façon habile dont la peinture de la société et de la politique romaine fait écho au monde contemporain. Surtout à l’époque où celle-ci a été diffusée, en pleine amérique de W. Bush, qui contourne les règles de la république pour faire valoir un pouvoir beaucoup plus fort (le patriot act, par exemple), au nom de la sécurité, et qui aura un petit côté va-t-en-guerre, un peu à l’image de César (ce dernier étant beaucoup plus sympathique dans le show).

    Ensuite, sur la forme, il faut tout de même mentionner que la série a (entre autres) été crée par John Milius, grand monsieur du cinéma, enfant terrible du Nouvel Hollywood, à qui l’on doit (notamment), Conan le Barbare.

    En tout cas merci encore pour ce retour sur la série.

    Bonjour chez toi.

    • Fanny Lombard Allegra

      Bonjour Christophe, et merci pour tes remarques tout à fait pertinentes.

      Je suis absolument d’accord avec ce que tu soulignes quant à la manière dont la série évoque la situation politique actuelle, à travers celle de Rome. C’est précisément, selon Claude Aziza (spécialiste de l’antiquité imaginaire), l’un des axes de lecture les plus intéressants du péplum – et au -delà, du film historique – puisqu’il renvoie à trois axes temporels : celui du récit, celui du temps de la production, et celui du spectateur. Regarder « Rome » aujourd’hui soulève des questions sur notre propre époque, parce qu’elle fait écho à des problématiques contemporaines – impérialisme, « justification » de la guerre, crise sociale, poids de l’argent en politique, etc. Mais on dit bien que l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement…

      • https://season1.fr Christophe Brico

        Cette discussion mériterai sans doute un podcast :)

        Un Screenplay un de ces jours peut être chère Fanny ?

        Bonjour chez toi

        • Fanny Lombard Allegra

          Pourquoi pas ? Il y aurait beaucoup à dire, en tous cas :-)

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