Le soap opera: Réhabilitation d’un genre mésestimé et sous-estimé de la télévision
- Alexandre LETREN
- Le 1 février 2013
- http://twitter.com/alexandreletren
Commençons déjà par dire que le but de cet article n’est absolument pas de vous vendre le soap comme le meilleur genre de la télévision. Loin de là.
Mal joué, mal filmé, des intrigues tirées par les cheveux,…on a tous déjà entendu ou lu ça sur le soap opera. Non ce que je veux vous montrer ici ce sont les codes du soap, les grands soaps que l’on a pu voir ou que l’on peut voir chez nous, et enfin pourquoi le genre est primordial pour les séries d’aujourd’hui.
Le soap est un genre particulier dans le domaine des séries parce qu’il ne répond à aucun schéma classique de construction d’une série.
Leur grande force réside dans le fait qu’ils arrivent à séduire le public durant des périodes astronomiques qui peuvent aller jusqu’à 50 ans pour le plus ancien encore diffusé. Ils ont fait leur apparition à la radio dans les années 30. Ils étaient des programmes réguliers sponsorisés à l’époque par des grandes marques de lessives (« soap » en anglais). Quand les grands networks ont commencé à se développer, naturellement ces séries ont suivi et sont passées de la radio à la télévision. C’est le genre le plus ancien à la télé parce qu’il n’a connu aucune période d’arrêt. Aujourd’hui, chaque chaîne principale (ABC, CBS, NBC) a son ou ses propres soaps. Là encore, grandes différences avec les autres séries: tous les ans, les networks proposent de nouvelles séries, mais jamais plus de nouveaux soaps. Autant que je sache, le dernier né remontait à 1999 et c’était la série PASSIONS (NBC, abandonné en 2008 après être passé sur DirecTv).
QUELLES SONT LES GRANDES CARACTERISTIQUES DU SOAP ?
- Diffusion et production tout au long de l’année (pas de saison)
- Un nombre conséquent d’épisodes (environ 250/an)
- Un nombre conséquent de personnages principaux
- Pas ou peu de tournages en extérieur: tournages en studio comme pour les sitcoms (même si certaines séries comme Amour gloire et beauté les ont considérablement augmentés ces dernières années).
- Nombre bien défini de lieux d’action
- Format allant de 30 minutes à 1h et une narration très lente: une intrigue peut courir sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois
- Longévité très grande: le plus ancien a 53 ans (à la télé) et le plus récent 26 ans
- Grande liberté avec la notion de temps, d’âge et de génération
QUELS SONT LES GRANDS SOAPS ?
On ne développera que ceux qui sont diffusés ou connus en France:
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Guilding Light: Diffusé dès 1952 aux USA et jusqu’en 2009. Ce soap a une particularité importante: il a commencé sa carrière à la radio. C’est le dernier vestige de ces soaps produits pour la radio. C’est une véritable institution aux USA pour ce soap dont le succès ne se dément pas depuis toutes ces années. France 3 qui souhaitait avoir son feuilleton du matin s’est lancée dans sa diffusion mais à un horaire qui condamnait le feuilleton à terme.
La chaîne a arrêté sa diffusion après 4 mois seulement alors qu’il en aurait fallu le double pour véritablement fidéliser un public.
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Des jours et des vies: Diffusé depuis 1965 aux USA. Là encore, on ne peut que parler d’institution dans le domaine du soap.
L’action se passe à Salem et suit les aventures de la famille Horton et de la famille Brady. Comme dans tout soap qui se respecte et qui dure, les personnages principaux vivent, changent selon les années qui passent. Dans les épisodes encore diffusés aujourd’hui, il est intéressant de noter depuis quand certains personnages sont dans la série: Alice Horton (depuis le début avec la même actrice et jusqu’à sa mort), et Marlena Evans (depuis 1978). Pour certains acteurs, la carrière à la télé se construit uniquement sur le soap où ils jouent et peuvent passer 40 ans dans la peau du même personnage. En 1981, la série connaît un virage avec l’arrivée du personnage de Stefano DiMera. Il va devenir LE méchant de la série, celui qui souhaite se venger de la famille Brady (pourquoi? Mystère. A l’heure qu’il est, les américains ne le savent toujours pas). Jusqu’en 2002, ce personnage va terroriser Salem avant de disparaître (mort ?) et d’être remplacé par son fils Tony DiMera. Dans cette série, on trouve un exemple de ce dont je parlais plus haut: la liberté prise avec les âges. Si le temps était respecté, les personnages de Shawn et de Belle auraient tout au plus 20 ans et non quasiment 30.
Avant d’être diffusé en France, ce soap a été popularisé par Friends puisque le personnage de Joey y tenait le rôle du Dr Drake Ramore.
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Les Feux de l’amour: Diffusé depuis 1973 aux USA. Le succès ne se dément pas non plus pour cette série depuis 40 ans. Créée par M. et Mme BELL (comme Amour gloire et beauté), elle plante le décor à Genoa City et multiplie les histoires d’amour, les trahisons en tout genre. Elle se démarque de ses petites copines par un rythme beaucoup plus lent et des histoires beaucoup moins mouvementées. Elle a contribué par ce rythme à donner aux soaps cette « mauvaise » réputation de séries plan-plan. Mais la notoriété des personnages de la série ne s’est pas fait attendre: qui ne connaît pas Victor Newman? Et qui ne l’a pas reconnu dans TITANIC ?
Les méchants dans cette série sont également connus: Sheila Carter, Michael Baldwin (avant de changer de « camp »),…
Rappelons aussi que de grands noms des séries ont commencé dans cette série comme une certaine Eva Longoria.
A noter enfin que la France n’a commencé la diffusion qu’aux alentours du 3000ème épisode en 1989.
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Amour gloire et beauté: Diffusé depuis 1988 aux USA. Cette série se distingue des autres par un rythme beaucoup plus rapide et des histoires plus trépidantes. L’action se passe à Los Angeles dans le milieu de la mode où deux familles se livrent une lutte acharnée: les Forrester et les Spectra (aujourd’hui, les Spectra sont remplacés par les Spencer). Avec Les Feux de l’Amour, c’est le soap le plus populaire à travers le monde avec des personnages parfaitement identifiés: Ridge, Brooke, Taylor, Stéphanie,… Produite également par les frères BELL, elle a permis de nombreux cross-over entre les deux séries. L’un des plus grands méchants de la série « Les Feux de l’Amour » est devenu LE méchant de cette série: Sheila Carter, véritable psychopathe. En 2002, l’un des personnages les plus populaires de la série est tué par Sheila: Taylor Forrester. Et bien dans les épisodes diffusés deux ans plus tard aux USA, les téléspectateurs ont assisté au retour de Taylor, dont la vie avait été sauvée par le prince Omar (les fans savent qui il est)…dans la plus pur tradition du soap.
Là encore, on a peur de rien quant aux libertés prises avec le temps: Rick devrait avoir une vingtaine d’années tout comme Bridget, sa soeur; quand Ambre débarque dans la série, elle se retrouve à garder la fille de Sheila, Marie, qui n’est qu’un bébé. Six ans plus tard, elle la retrouve sur sa route en train de séduire son mari puisque Marie a maintenant 17 ans!!!!!
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Passions: Diffusé aux USA de 1999 à 2008. C’est le soap le plus récent lancé mais pas celui qui a eu le moins de succès, en tout cas au début car l’audience s’est vite dispersée au vent. Comme Sunset Beach en son temps, Passions n’hésite pas à surfer sur la vague du fantastique tout en respectant les codes du soap. On suit les aventures des familles Crane, Lopez-Fitzgerald,…dans la petite ville d’Harmony. Au-delà des traditionnelles histoires d’amour, de trahisons et de meurtres, l’originalité de la série réside dans LE méchant de la série: Tabatha est une sorcière qui a plus de 400 ans et qui souhaite se venger de la ville d’Harmony. On assiste donc à un balais de personnages sortis des légendes: anges, démons, sorcières, zombies,… La popularité de la série dépasse les cadres du soap et c’est un signe puisque les personnages de « A la maison blanche » y font référence.
Et la France dans tout ça? Comme les sitcoms, le soap est un genre méprisé parce que jamais analysé et sans cesse comparé aux autres séries que sont Les Sopranos, Six Feet Under ou The Wire. Cette comparaison ne répond à aucune logique parce qu’il y autant de différences entre un soap et une « série » normale qu’entre Mireille Mathieu et Nirvana.
France 2 s’est lancée dans l’aventure il y a quelques années avec Cap des pins en 1998. La série a connu un joli succès mais à tardé à trouver ses marques provoquant son annulation après tout de même 280 épisodes. France 3 retente l’expérience à l’été 2004 en lançant Plus belle la vie. L’action se situe à Marseille dans le quartier imaginaire du Mistral où on suit les aventures des Marci, des Torres, des Fremont. Au début, la chaîne ne veut pas reconnaître qu’elle veut faire un soap. Elle préfère le terme de « feuilleton quotidien ». N’importe qui s’y connaissant en série sait ce qui se cache derrière. Elle commence par raconter des histoires du quotidien, banales!!!! La sauce ne prend pas. Pourquoi? Le public français connaît les codes du soap plus qu’il ne connaît les codes des séries. Il ne veut pas de véracité, il veut du délire, de la folie, des histoires qui n’ont aucun sens. Et surtout, il ne veut pas du « réel » à 20h le soir, en rentrant du travail. Pour ça, il a le JT sur les autres chaînes. La chaîne voit se profiler un échec retentissant et change de cap. Une refonte de l’équipe des scénaristes est faite et les histoires changent. Aujourd’hui, on voit des histoires de meurtre, de psychopathes,… Le public ne s’y trompe pas: l’audience double, voire triple et la série atteint aujourd’hui 20-25% de PDM. Un vrai succès qui ne se dément pas.
Les autres chaînes ont bien tenté de réitéré l’exploit mais tous, de Paris 16ème à Cinq soeurs en passant par Pas de secrets entre nous, ont péri sur l’autel de l’audimat!!!
Face à cette présentation que j’ai voulu détaillée, je souhaiterais terminer en rappelant l’importance du genre. C’est dans le soap que sont nées les séries telles qu’on les connaît aujourd’hui. N’oublions pas que jusqu’à la fin des années 70, la programmation en télé est « basiquement » séparée en deux. Dans la journée, on propose des programmes réservées à ces dames qui restent au foyer, des programmes comme le soap; le soir, « monsieur » rentre à la maison et la télé lui est « dévouée » avec des programmes adaptés. Mais durant les années 70, les femmes reprennent de plus en plus le chemin du travail hors de la maison et il faut que les programmes s’adaptent. Et afin que tout le monde s’y retrouve, on emprunte aux soaps certains des codes qui lui sont propres et qu’on ne retrouve que très rarement dans les séries de prime time, notamment le côté chorale des séries et surtout le côté feuilletonnant si répandu aujourd’hui. On avait déjà eu une tentative « hybride » qui s’appelait Peyton Place mais le vrai démarrage se fait avec Dallas (1978-1991). S’en suivront une quantité de prime time soap durant les années 80. Mais surtout, ces codes vont se répandre dans toutes les autres séries jusqu’à ce qu’un auteur en face la marque des séries de qualités du début des années 80 et qui posera les bases des grandes séries encore aujourd’hui. Ce brillant scénariste s’appelle Steven Bochco et sa série Hill Street Blues fait date. Suivront St Elsewhere ou L.A Law.
Aujourd’hui, le genre est en perdition. les survivants sont rares et seuls les programmes s’exportant très bien à l’étranger se maintiennent en vie.
L’annulation de la série la plus ancienne Guilding Light suivie peu après par All my children nous a fait comprendre que l’on changeait d’époque. Les modes de consommation de la télé ont considérablement changé et le public pour lequel le genre a été construit n’est plus assez nombreux de son écran. Surtout, le soap a raté le coche de la modernisation des séries et n’a pas su adapter ses histoires et la façon de se construire.
C’est bien dommage car, quoi qu’on pense de ce type de séries, il serait dommage de voir s’éteindre le genre le plus ancien de la télévision.
Source: Dossier réalisé en partie en 2005 lors de l’existence d’un autre site, Serialement Vôtre (arrêté en 2007)
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